mardi 29 mai 2012

Ouf.

L'ami d'un ami vient de partager ses sentiments sur le dernier Festival de Cannes. Youpi: vous voilà un petit peu défrustrée (en français dans le texte, oui).

"Cannes 2012 : 1H 22 de queue pour aller voir des films que personne n'ira voir quand ils sortiront en salles ... invasion de réfugiés roumains quémendant quelques centimes d'euros à des branchouilles/têtes à claques sortant bourrés du Baron à 8h00 du matin... fêtes cafardeuses envahies par des VRP de "je ne sais pas quoi" qui n'ont aucun rapport avec le cinéma... coin presse étouffant de monde où tu es obligé de t'asseoir sur d'autres journaleux pour taper des textes que personne ne lit et qui sont eux mêmes noyés dans la masse d'autres textes que personne ne lit non plus ... ambiance flashy/technoïde constante transformant la ville en un clone hirsute de Las Vegas... vieilles bourges botoxées se retrouvant à mater des films de la compète au détriment de jeunes cinéphages sans badge rêvant d'avoir des places... j'en passe et des meilleures. Résultat des courses : rentré trois jours plus tôt que prévu. Les films, je les verrais plus tard tranquillou en projo, en salles, en dvd, sur le câble, en vhs, en super 8 ou sur un des 10000 clones de Mega Upload. C'était mon 30e et dernier Cannes."

Aaaah, ça va beaucoup mieux.

Vous, ce que vous retiendrez de Cannes, c'est le Palmarès. Enfin, les thèmes qui s'en dégagent et qui fleurent bon l'été, la joie de vivre, les rires d'enfants : euthanasie, pédophilie, religion, homosexualité... Vous savez ce qu'il vous reste à faire.
Hop hop hop, au boulot. A la rentrée, vous devez être prête à présenter un scénario pour un chouette film de deux heures et demie, de préférence dans une langue étrangère bizarre. Ce sera l'histoire de deux nonnes lesbiennes très âgées, espionnées par des caméras de télé-réalité. Leur univers bascule le jour où l'une d'elle est accusée de pédophilie, ce qui déclenche une attaque cérébrale chez l'autre. Alors elles décident de s'entre-euthanasier. Voilà.

Quoique ce pourrait peut-être être plus sympa si la première dévorait, nue, le visage de la deuxième. A voir.


(BAM! Palme d'Or, direct.)

samedi 19 mai 2012

La vie d'artiste.

Comme nous l’avons déjà vu*, le fait d’être considéré comme un cinéaste prometteur par son entourage peut parfois s’avérer problématique.

Votre famille et vos amis ayant une foi indéfectible en vous, ils se font en effet un plaisir de donner votre nom chaque fois que quelqu’un mentionne une activité ayant un tant soit peu un rapport avec l’audiovisuel.
Vous n’osez pas critiquer : ils pensent aider. Aussi, au lieu de faire voler des tables en leur hurlant de ne jamais donner votre numéro de téléphone sans vous avoir consultée, nom de Zeus de putain de bordel de merde, vous souriez bêtement en baragouinant les remerciements de circonstance.

Vous voulez être réalisateur, oui. Vous voulez écrire, oui. Pour autant, cela veut-il dire que vous êtes équipée au niveau image, montage et même son, ou que vous maîtrisez tous les aspects des différents métiers du spectacle, de la lumière au mixage, en passant par l’installation d’une scène en plein air ? NON.

Voilà comment vous avez par exemple passé des après-midis entiers à maudire la moitié de l’hémisphère Nord en vous prenant la tête sur des devis pour des films institutionnels que vous saviez irréalisables. Parce que hé, untel a un contact qui aimerait bien mettre une vidéo de présentation de sa société sur son site internet, alors vous pourriez le faire pour pas cher, vous, la fille dont la caméra mini-DV a rendu l’âme il y a des années et qui ne possède même pas un ordinateur digne de ce nom pour faire du montage…

Voilà comment vous avez été propulsée réalisatrice de la captation d’un spectacle son et lumière géant en plein air l’été dernier, sans même avoir pu donner votre avis ou même votre accord, ce qui n’est finalement pas important puisque hé, untel organise un concert géant et ce serait super si vous pouviez le faire pour pas cher avec votre matériel, ça vous ferait une expérience d’enfer et pourquoi est-ce qu’on douterait de vous puisque vous êtes la meilleure des a) amies, b) petites-filles, c) membre de la famille à différent degré (à cocher selon les cas de figure).

STOP !

Vous voulez bien écrire des scenarii, des romans, des articles, des chroniques, des lettres de motivation, des fiches de lecture, des lettres d’amour, des dissertations, des notes d’intentions, des bandes démos, des discours de remerciement, des spectacles de stand-up, des vœux de mariage, des lettres d’insulte, n’importe quoi, peu importe, vous pouvez. Parce que c’est ce que vous savez faire, et que vous en avez les moyens.
Vous voulez bien réaliser ou simplement mettre en scène des courts métrages, des longs métrages, des publicités, des films institutionnels, des captations en tous genres, des spectacles, des comédies musicales, des spectacles de fin d’année, des mariages, des enterrements, des dépucelages même, n’importe quoi, tant qu’on vous en donne les moyens. Et avec plaisir, en plus.

Vous ne savez pas, en revanche, éclairer un spectacle pour trois mille personnes, faire la prise d’un son d’un concert ou plus simplement tourner un film sans caméra. Et même si vous avez essayé mille fois de le faire comprendre à votre grand-père, grand-mère, oncle, tante, cousine, coiffeuse, boucher, ami, amie, amis, il n’y a rien à faire – vous serez toujours la fille vers qui on se tournera. Parce que vous êtes trop gentille, trop stupide, trop fauchée, trop au chômage, et que chacun de ces adjectifs conviendra forcément à quelqu’un qui sera fier de pouvoir dire qu’il connaît LA personne idéale pour gérer l’évènement de l’année : VOUS.

Voilà pourquoi votre week-end est gâché par l’épée de Damoclès numéro quatre cent cinquante deux qui pend au dessus de votre tête : vous êtes censée appeler, non, on insiste pour que vous appeliez illico un intellectuel de gauche, professeur de philosophie de son état, qui désire réaliser « Entre les murs 2 » avec ses élèves. A trois cent kilomètres de là. Avec votre aide, bien entendu.
Alors oui, vous êtes ouverte d’esprit, et vous voulez bien aider ; mais il faut bien avouer qu’en général, les lecteurs de Télérama vénérant François Bégaudeau sont assez sectaires – vous vous voyez mal parler des bienfaits de « Shaun of the Dead » autour d’une bière. Vous avez carrément peur, en fait.

AU SECOURS !



* Voir l’article « Et ils vécurent heureux, et eurent beaucoup de DVD »
(http://jeveuxfaireducinema.blogspot.fr/2010/05/et-ils-vecurent-heureux-et-eurent.html)


mercredi 16 mai 2012

The Party.

Aujourd’hui commence le 65ème Festival de Cannes. Cela méritait bien un article… (Quelle originalité ! Quelle audace !)

(La musique du « Petit Dinosaure » commence.)


Depuis environ deux mois, tout le monde s’évertue à vous poser LA question : irez-vous au Festival de Cannes cette année ?
Beeeuuah… non.
Vous n’avez pas de court-métrage à y présenter, donc pas d’accréditation, et encore moins d’argent. Au revoir palmiers, croisette, soleil ! Au revoir vieux riches, starlettes et scientologues ! Au revoir le cinéma, aussi…

La vérité, c’est que vous êtes très triste. Vous adorez le Festival de Cannes ! Quand vous n’y êtes pas, vous avez l’impression qu’une grande fête a lieu sans vous. Bon, quand vous y êtes aussi, en fait. Mais le lecteur intelligent aura compris l’idée.

D’accord – vos origines y sont peut-être aussi pour quelque chose. Vous avez grandi dans une ville où il ne fait jamais beau, et vous vivez à Paris. Le simple fait de passer dix jours au bord de la Méditerranée, entourée de restaurants qui proposent des fruits de mer et de la bouillabaisse, vous rend bêtement heureuse.

Toutefois… il n’y a rien à faire : vous aimez faire la queue pendant des heures en plein soleil pour essayer d’aller voir un film qui, de toute façon, sortira dans quelques mois. Vous aimez manger un panini insipide assise sur une bordure de trottoir en regardant passer tous les gens portant une accréditation autour du cou. Vous aimez flâner dans les allées du Marché du Film en volant des posters d’œuvres improbables à droite et à gauche, afin de décorer vos toilettes en rentrant. Vous aimez passer devant le tapis rouge à l’heure de la montée des marches, et sentir la fébrilité ambiante. Vous aimez aller manger un cookie au Kinder entre deux projections dans le petit coffee shop en face du Palais des Festivals. Vous aimez mettre votre réveil à neuf heures dans le but d’aller à la séance de onze, puis vous rendormir quand il sonne en vous disant que vous n’y arriverez jamais. Vous ne vous lassez pas de remonter la Croisette dans tous les sens, d’y repérer ses stars, ses énergumènes, ses présentateurs télé, ses mamies siliconées, ses étudiants plein d’espoir dans leurs costumes H&M, ses happenings. Vous adorez retrouver des amis cinéphiles que vous ne voyez pas souvent, et déjeuner dans des bouis-bouis avec eux en parlant de cinéma à mille à l’heure.
Vous aimez même vous faire refuser l’entrée à une soirée parce que vous êtes en ballerines, pas en talons aiguilles. Tourner pendant des heures à la recherche d’une place de parking. Ou encore participer à la guerre des flyers dans les couloirs du Short Film Corner, luttant sans relâche au jour le jour pour faire remonter votre petite affiche de film.



Vous n’avez pas honte d’admettre que vous aimez ce putain de microcosme puant et suffisant, duquel vous vous sentez pourtant tellement proche. Cannes, tout le monde crache dessus, mais les gens pleurnichent quand ils n’y vont pas.
Il y a sûrement une part de masochisme en vous : nul autre endroit ne peut rendre aussi bien compte de la concurrence. Vingt-trois aspirants réalisateurs au mètre carré, c’est effrayant. Vous relativisez, tout de même : c’est toujours mieux que les cinquante-deux aspirants acteurs.

Pourtant, on ne peut pas dire que l’an dernier, votre festival de Cannes ait été un franc succès. Professionnellement parlant, en tous cas.
La partie « incrustation » fut en revanche une réussite totale. Des plages privées aux salons du Carlton, en passant par la réception de luxe dans les salons de l’ambassadeur au Palais des Festivals, vous êtes entrée partout – même avec vos ballerines. Vous n’avez pas payé un verre, pas un, pendant toute la durée des festivités. De la soirée Martini à la soirée Cointreau, vous avez régulièrement croisé Jean-Pierre Lavoignat et autres Frédéric Beigbeder (en train de se faire monter dessus sur une banquette, toujours). Vous avez assisté à une soirée filmée par Le Petit Journal. On vous a même proposé de la drogue – que de chemin parcouru depuis votre premier festival et les soirées « chips et coca » sur le balcon de la résidence Pierre & Vacances.
Pour autant… Vous n’alliez pas vous jeter sur Thierry Frémaux en lui demandant de l’aide pour votre carrière future. Vous avez votre honneur, tout de même.

Le fait de partir avec votre petit-ami n’a pas vraiment aidé. Essayez un peu de faire une soirée au bras d’un apprenti réalisateur de sexe masculin ! Vous ne serez rien d’autre que la potiche en robe du soir qui accompagne le monsieur. La prochaine fois, vous vous fabriquerez une pancarte : « Je suis réalisateur aussi. Arrêtez de regarder mes seins, ma bande démo est mieux ».

Il n’y a rien à faire – vous donneriez quand même n’importe quoi pour passer ne serait-ce qu’une journée à Cannes. Rien qu’une toute petite, minuscule journée. Même juste cinq minutes, si elles s’écoulent en compagnie d’Ewan McGregor. Ou simplement deux minutes, juste le temps d’acheter un magazine de cinéma avec un t-shirt en cadeau dedans.
S’il te plaît, dieu des jeux-concours, aide une petite réalisatrice perdue !

De là où vous êtes, même la gare de Juan les Pins a des allures d’Hollywood…



lundi 14 mai 2012

SOIS BONNE ET TAIS TOI.

Vous êtes scandalisée. Outrée, révoltée, fâchée, écoeurée.

La famine en Afrique ? Les Néo-Nazis en Grèce ? Les élections françaises ? Le monde du cinéma ? Non : la MODE.

Vous êtes obligée de passer par le centre commercial pour aller au cinéma. En allant voir « Dark Shadows », vous aviez remarqué qu’une grande enseigne de mode masculine avait lancé une collection Men In Black. Soit.
Aujourd’hui, en sortant de « La cabane dans les bois », vous constatez qu’une autre enseigne a une collection de t-shirts Star Wars absolument fantastique. Or, il se trouve que cette enseigne est MIXTE…

Encore une fois, votre légendaire naïveté vous a explosé au visage – comment avez-vous pu croire une seule seconde que les filles auraient droit à un beau t-shirt Star Wars ?

Tu es une fille ? Alors sois bonne et tais toi ! Les t-shirts sympa, le fun, c’est pour les garçons. Toi, tu es priée de mettre ton corps forcément parfait en avant dans d’insipides débardeurs moulants aux tons pastel d’une banalité affligeante.

Ce n’est pas JUSTE !

En plus, il y a un marché à prendre – vous ne voyez pas pourquoi il ne pourrait pas y avoir de beaux t-shirts Star Wars pour les filles, bien coupés et légèrement décolletés. Ou même, puisque les filles sont visiblement toutes des salopes désireuses d’en montrer le plus possible, de beaux t-shirts Star Wars minuscules à souhait, exhibant fièrement nombril et nichons, ouverts dans le dos, et représentant Leïa à quatre pattes en train de miauler. Au moins ça, quoi !

Le plus triste, c’est que vous avez retourné le magasin pour essayer de trouver un t-shirt de fille sympa… et vous avez trouvé ce qui est apparemment censé être l’équivalent du t-shirt Dark Vador. Accroche-toi, lecteur, et admire la photo volée ci-jointe.




On ne le dira jamais assez : être une fille, c’est vraiment pas facile.

La vie normale. (2)

Ce que les gens ne comprennent pas, c’est que vous n’êtes pas intermittente du spectacle – vous ne l’avez jamais été. Vos cinq cent sept heures, vous les avez effectuées en stage, ou mieux encore, au noir. Quand vous déprimez parce que vous n’avez pas de travail, cela signifie que vous allez devoir puiser dans vos économies pour payer votre loyer, et qu’il n’y a aucun revenu en vue. Quand certains de vos amis dépriment parce qu’ils n’ont pas de travail, cela signifie qu’ils s’ennuient parce qu’ils ne tournent pas de gros films actuellement, mais tout va bien, parce qu’ils touchent au moins mille cinq cent euros de congés spectacle. Net.

Vous ne comptez pas vous lancer sur l’épineux sujet du statut intermittent – vous n’êtes pas là pour ça. Vous en avez simplement marre des gens qui prétendent compatir à vos soucis alors qu’ils ont commencé leur vie professionnelle avec des stages payés cinq cent euros la semaine. Des gens qui râlent quand leurs piges sont inférieures à trois cent euros, et qui ignorent qu’un SMIC ne permet pas vraiment de s’amuser.
Un de vos collaborateurs aime à raconter partout qu’il refuse les journées de travail à moins de mille euros…

Bon nombre de personnes, acteurs ou techniciens, acceptent de travailler bénévolement – cela ne les dérange pas parce qu’ils ont leurs heures, donc une sécurité financière. Quand vous acceptez de travailler bénévolement, cela signifie que vous ne gagnez pas d’argent, et qu’il faudra se remettre à ouvrir du courrier très rapidement. Youpi !
Vous ne savez pas vraiment ce que vos amis pensent de votre situation. Une chose est sûre, c’est qu’aucun d’entre eux, qu’il travaille ou non dans le milieu du spectacle, ne semble comprendre que vous êtes perpétuellement fauchée. Sinon, ils ne vous proposeraient pas constamment de :
a) manger des hamburgers à douze euros (le hamburger, pas le menu)
b) donner cinquante euros pour aider un petit Africain orphelin et séropositif qui peint avec ses pieds, en échange d’un bloc de papier à lettres à votre nom (ah non, merde, ça c’est la Croix-Rouge, pas vos amis)
c) faire un tour d’Europe en voiture, partir en trek dans le désert tunisien, réserver un séjour de luxe aux Canaries, voire, tant qu’on y est, louer une villa à Los Angeles ou à Miami.
Les trois quarts sont blessés quand vous refusez, en plus – c’est sûr qu’après trois ans d’économies acharnées pour partir en Nouvelle-Zélande, vous alliez être d’attaque de suite pour de nouvelles aventures… Peut-être qu’en fait, vous êtes riche, et tout le monde le sait, sauf vous.

Blague à part, c’est parfois un peu difficile à vivre. Vous ne dites rien, mais voir vos amis partir à longueur de temps, c’est frustrant. Putain – vous saviez que vous auriez du être ingénieur. C’est entièrement de votre faute, après tout, vous n’aviez qu’à être bonne en maths.
Certes, vous êtes viscéralement anti-mariage, et vous ne comptez pas avoir d’enfants avant un bon milliard d’années – même si, à en croire des quarantenaires frustrées, votre utérus est d’ores et déjà en train de se dessécher comme un vieux pruneau sous le soleil de midi (et alors ? Vous adopterez des petits Chinois). Vous n’en restez pas moins humaine, et le fait d’avoir une forme de sécurité financière, ou même simplement de pouvoir suivre quand on vous emmène au restaurant vous ferait plaisir. Car non, les cadres et autres ingénieurs en tous genre ne prennent pas systématiquement le menu C à huit euros cinquante.

Vous aimeriez tellement avoir un travail. Un truc sympa, même en dehors de l’audiovisuel… Juste quelque chose qui vous permettrait d’utiliser un tant soi peu votre cerveau, qui ne demande que ça, et où vous pourriez parler d’autre chose que de la météo avec vos collègues. Vous avez fini par vous faire à l’idée que vous ne serez jamais intermittente, et que tant que vous ne vivrez pas de l’écriture ou de la réalisation, ce qui reste d’ailleurs totalement hypothétique, vous aurez besoin d’un travail d’appoint. OK, pas de problème – mais ce travail pourrait-il au moins, s’il vous plaît, être INTERESSANT ?

Pour vivre de votre art, au rythme où vous allez, il vous faudrait au moins être un vampire, par sécurité…
Franchement – pour une caissière qui devient écrivain, combien d’apprentis auteurs resteront à jamais des losers ?

Le plus pathétique, dans l’histoire, c’est le soin que vous mettez à faire croire aux autres à quel point votre vie est géniale. Bon, elle n’est pas dégueulasse en soi, c’est sûr. Mais vous trichez sur les versions.
Version honnête pour honnête fille décomplexée : je veux être réalisateur. Je fais de l’intérim la plupart du temps, et parfois je réalise un truc ; ça ne paye pas.
Version hypocrite pour réunion d’anciens élèves : je veux être réalisateur. Ouuuais. J’ai passé pas mal de temps à la télé, ouaaais, puis j’ai beaucoup bossé en boîte de prod’… Là j’ai deux courts sur le feu et je viens de réaliser mon premier clip, ouais, ouais, ça marche pas trop mal quoi…

Vous êtes monstrueuse !

Finalement, vous n’appartenez à aucun clan ; vous êtes plus ou moins exclue du petit monde de l’audiovisuel, et vous n’avez pas le statut intermittent. Pour autant, vous n’êtes pas non plus une vraie salariée, une honnête travailleuse gagnant sa vie comme tout le monde. C’est quoi, votre place ?
Votre devise, c’est : si tu n’arrives pas à faire des films, tu te dois au moins de faire de ta vie un film. Mais comment faire quand le quotidien vous rattrape ? On ne peut pas survivre en se payant péniblement un voyage tous les trois ans…
Vous êtes sans doute bonne à jeter à la poubelle.

Ou alors vous êtes une vieille chanson de Green Day. C’est déjà mieux, mais c’est pas encore ça…

I walk a lonely road
The only one that I have ever known
Don't know where it goes
But it's home to me and I walk alone

samedi 12 mai 2012

La vie normale. (1)

Vous avez vingt-huit ans. La plupart de vos amis sont soit propriétaires, soit mariés, soit, pire encore, parents. Vous êtes locataire, vous avez un travail un jour sur deux et vous êtes allergique à toute forme d’engagement – le simple fait d’acheter un billet de train deux mois à l’avance vous oppresse.

Votre grand-mère aimerait vraiment, vraiment, vraiment vous voir « en robe blanche », pour reprendre son expression. Et si vous pouviez accessoirement lui offrir quelques héritiers… Pauvre Mamie. Elle aurait sans doute été plus heureuse avec une autre petite fille, ou en tous cas avec une version de vous qui serait, par exemple, esthéticienne à Mulhouse (pardon à toutes les esthéticiennes de Mulhouse).

Le fait est que votre vie est tout, sauf normale. Et vous n’avez pas particulièrement envie qu’elle le devienne.
Il va falloir que votre grand-mère comprenne que vous n’avez pas grandi en fantasmant devant des princesses idiotes dont le seul but dans la vie était de se marier. Votre héroïne préférée n’était pas même une princesse – c’était Belle dans « La Belle et la Bête » et même qu’elle était trop cool, elle voulait partir à l’aventure et tout, et en plus elle lisait tout le temps et était super cultivée, nah.
Quand vous étiez petite, vous vouliez être un pirate, un explorateur. Vos modèles féminins étaient Marion Ravenwood, Ellie Sattler, Sandra Bullock dans « Speed » ou encore les héroïnes de James Cameron. Et encore – vous vous identifiiez plus à Indiana Jones.
C’est vraiment étrange que vous ne soyez pas lesbienne, tiens.

Le problème, c’est que la normalité de la vie a vite fait de vous rattraper. Même les grands aventuriers doivent se nourrir et se loger, et c’est là que le bât blesse. Fini de jouer, on ne rigole plus : vous êtes censée être une adulte responsable.
Que les choses soient claires : vous détestez ne rien faire. Travailler, vous ne demandez que ça. Le hic, c’est que vous ne parvenez pas à vivre de l’audiovisuel (y en a-t-il ici qui ne l’auraient pas encore compris ?). Vous faites des choses incroyablement intéressantes et formidablement bénévoles… Vous êtes donc bien obligée de vous tourner vers l’intérim et autres joyeux contrats à durée déterminée, en attendant qu’un vieux milliardaire pas trop libidineux amoureux de votre plume décide de vous coucher sur son testament avant de mourir sur un yacht dans la baie cannoise (attention, hein : il mourra dignement lors d’un grand moment culturel empli d’émotion, comme la lecture d’un bon livre. Pas en pleine gâterie prodiguée par une prostituée russe de seize ans n’ayant même pas de seins).

Or, ce qui est intéressant, quand on a un diplôme de «Technicien Supérieur de l’Audiovisuel, option Réalisation» (mention Très Bien, s’il vous plaît), ainsi qu’un «European Master of Arts, majoring in Audio-visual/Directing», c’est que, une fois sortis du contexte, ces diplômes ne veulent plus rien dire. En d’autres termes, quand vous cherchez du travail, vous vous retrouvez niveau Bac. Bac scientifique, mais Bac tout de même.
Vous avez donc été, pêle-mêle, femme de chambre, opératrice de saisie, gouvernante, secrétaire, réceptionniste, hôtesse d’accueil ou encore agent administratif (un terme poli pour dire que vous ouvrez du courrier). Vous vous refusez à travailler chez Mc Donald’s, Virgin ou tout autre entreprise où vous seriez confrontée à des clients et où l’on pourrait vous reconnaître – c’est idiot mais c’est comme ça.
Vous êtes très fâchée, pour ne pas dire blessée, quand certains de vos proches, parfois même votre père, vous énoncent des énormités telles que « mais pourquoi tu ne cherches pas un boulot dans le montage ou la production ? » … Ah ben oui tiens, vous n’y aviez pas pensé. Parce que bon, être assistante de production ou même servir des cafés à Kad Merad, c’est quand même drôlement moins bien que de distribuer le courrier dans tout le service paie d’une boîte du neuf-trois. Gnnnnn. Si vous pouviez être millième assistante régie, production ou même son, bien sûr que vous le seriez…
Vous voilà donc cantonnée à des tâches ingrates dans des sociétés diverses et variées.

Vous vous retrouvez ainsi confrontée aux gens qui y travaillent – des gens « normaux ». Inutile de mentir : cela fait parfois du bien. Vous êtes toujours très bien accueillie, et, cela ne surprendra personne, les gens « normaux » sont bien plus sincères et gentils que les joyeux drilles qui composent le milieu de l’audiovisuel. Moins de pétasses, moins de fils à papa, moins de fourberies, moins de vils personnages en tous genres – même si tous ne sont pas comme ça, cela va sans dire.
Les gens « normaux » sont toutefois plus… plus… comment dire… NORMAUX. Trop normaux. Parfois terriblement terre à terre et premier degré.

Eté 2010. Vous êtes assise dans le bureau du patron, signant la fin d’un CDD de cinq mois fort sympathique. Le patron en question, par politesse, vous fait la conversation pendant que vous dédicacez divers documents.
« - Alors, qu’est-ce que tu comptes faire maintenant ?
- Ben, je vous l’ai dit, je veux être réalisateur, je prépare un court-métrage, là…
- Oui, je sais, mais bon, le cinéma c’est un hobby. Tu comptes faire quoi, pour de vrai ?
- … »
S’ensuivent quelques charmantes minutes moralisatrices sur la vie que vous devriez avoir. Espèce de saltimbanque !

Hiver 2011. Vous travaillez dans le service abonnement d’un grand groupe de presse – un service exclusivement féminin. Tout le monde est adorable et deux des filles ont le même âge que vous : l’une a un enfant, et l’autre… deux. Pouin pouin pouin pouuuuin (musique de la déception).
Le neveu du patron vient passer quelque temps au sein du service pour se faire de l’argent de poche ; lui aussi a votre âge. Vos collègues l’interrogent sur son avenir proche… « Oh, moi, je n’ai pas envie de me caser. Je suis jeune, j’ai encore envie de sortir, de faire la fête et de voyager ! »
« Tu as bien raison, roucoulent-elles en réponse, tu as le temps ! »… Après quoi elles se tournent vers vous : « et toi ? »
Vous ? Ben, tout pareil. Vous êtes trop jeune pour vous caser et vous voulez voyager. La sentence tombe immédiatement, d’un premier degré absolument déprimant : « Tu as tort - l’horloge tourne, tu devrais déjà avoir commencé à faire des enfants ! Tu n’es plus toute jeune ! », et blablabla, et prêchi-prêcha, et excusez-moi mais je croyais que les femmes avaient le droit de vote et pouvaient diriger le monde ?

Vous ne voulez pas cracher dans la soupe – vous avez toujours été accueillie très chaleureusement, et les personnes que vous avez pu côtoyer étaient des modèles de gentillesse. Mais, objectivement… vous êtes bien souvent la plus jeune, et on ne peut pas dire que vous ayez les mêmes sujets de conversation. Vos différents emplois sont purement alimentaires, et vous ne vous y épanouissez pas… du tout. Mais que faire d’autre ? Vous avez besoin d’argent, et le vieillard pas trop libidineux se fait attendre...


(à suivre dès demain!)