dimanche 5 décembre 2010

Projection et stressomètre (2)

Nous sommes vendredi soir, et vous entendez vos voisins faire la fête ; vous, vous mangez des Schoko-Bons devant un reportage sur Stéphanie de Monaco. Rien ne va plus. Autant écrire !

Deuxième année. Vous tournez en Super-16, et le thème est imposé : vous devez adapter une nouvelle...
Ca tombe bien, il y a une que vous aimez dans le paquet qu’on vous a distribué. Et, attention aux yeux, vous allez adapter Philip K. Dick. Steven l’a fait, et vous allez marcher sur ses illustres pas. Vous allez même en profiter pour rendre hommage à votre deuxième divinité, Tim Burton. Il se trouve que l’univers s’y prête, et vous êtes littéralement submergée par l’inspiration. Votre cerveau dégouline d’idées et d’hommages ; vous allez faire passer un vrai, beau message, le tout sur un fond de « La belle et la bête » (votre Disney préféré, bien évidemment).
En fait, vous ne pensiez pas qu’il serait aussi facile d’écrire un film « qui veut dire quelque chose », où vous pourriez caser certains de vos thèmes de prédilection (« le mariage, ça craint », « le mariage, c’est abominable », « évitez de vous marier »… Oui, bon, ben quoi ? C’est toujours mieux que « Pourquoi je ne jouis pas ? » ou « Pourquoi suis-je attirée par les animaux morts », non ? En tous cas, ça doit parler à plus de monde. Enfin, rien n’est moins sûr…)
Bref, tout y est, et vous êtes fière de vous ; cerise sur le gâteau, on encense votre scénario, votre découpage, et l’équipe technique aime votre projet. Vous avez fait votre premier casting, et trouvé de vrais acteurs – tout cela vous change des castings que vous organisiez dans le dos de votre mère sur Caramail quand vous étiez au lycée, pour des films que vous comptiez éclairer avec trois lampes halogènes (en pensant sincèrement que vous aviez de l’avenir en tant que chef opérateur).
Over-motivée, donc, vous partez en tournage.

Woohoo, les joies de la campagne! L’intégralité de l’équipe est logée chez l’un des joyeux membres, et vous avez tôt fait de boucher la fosse sceptique. Les acteurs ne sont pas contents (mais si, rappelez vous, les caprices de star, le lait de soja, tout ça…), et surtout, surtout, il fait moins un million de degrés.
Mais tout s’annonce bien ! De toute façon, c’est comme les colonies de vacances : merdique mais fun.
Premier jour de tournage : le temps est magnifique. Froid mais sec, grand soleil. Le décor est somptueux, et vous vous gavez de plans romantiques à souhait. Comme on dit, ça va avoir de la gueule. Vous attendez les trois prochains jours avec impatience, plus ou moins certaine que vous allez cartonner (naïve ET mégalomane. Oui, c’est triste).

Deuxième jour. Cinq heures du matin. Vous dormez. Non, vous somnolez, trop agitée de frissons pour réussir à vraiment vous reposer. Non loin de vous, vous entendez le cadreur parler avec la scripte :
- Qu’est-ce qu’on fait, on lui dit ?
- Je ne sais pas… on la réveille, tu crois ?

Bon. Vous décidez d’aller affronter votre destin. Vous êtes un courageux leader, et vous êtes prête à affronter tous les problèmes, à braver tous les dangers. « Me dire QUOI ? »
Oh, rien. Juste que deux mètres de neige sont tombés pendant la nuit, et que c’est foutu pour les raccords.

Yeah ! C’est chouette, la vie.

Croyez-moi, s’il y avait eu de la neige sur le tournage de « Apocalypse Now », on pourrait dire qu’il fut similaire au vôtre. Hahaha… La pointeuse peine à faire le point, tant ses mains sont engourdies par le froid. Mais vous ne pouvez, de toute façon, rien tourner dans l’immédiat, puisque le Nagra ne marche pas à cause du froid. Le Nagra ? Ben, la machine du son, quoi. Vous savez, le truc avec les bobines, celui que vous aimez bien manipuler parce qu’il vous donne l’impression d’être un espion pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il a décidé d’hiberner, ce con.
Les acteurs deviennent officiellement fous, accessoirement. Pas fous joyeux, fous pathologiques. Bon, d’accord, l’actrice n’est pas censée jouer la scène en parka – plutôt en nuisette, en fait. Oui, la scène au milieu du champ. Ce qui vous vaut cette magnifique réflexion de son partenaire, qui n’a jamais tout à fait compris que ceci était un tournage étudiant : « Sur un vrai tournage, il y aurait un assistant qui lui enlèverait son manteau au dernier moment et partirait en courant ». En laissant ses traces dans la neige, connard ? C’est toi qui va avoir besoin d’assistance quand je t’aurais enfoncé la caméra si profond dans le cul que tu vas vomir de la pellicule pour le restant de tes jours.
Oh, c’est bon, hein – je ne suis pas méchante, c’est du seize millimètres. Du trente-cinq eut été plus douloureux.

Fort heureusement, tout n’est pas perdu : votre miraculeuse scripte a réussi à refondre le plan de travail de façon à ce que les raccords tiennent le coup – la neige peut désormais coller à la chronologie, et vous vous dites que Dieu existe.
Quoique. Considérant le fait que votre brillant assistant réalisateur (second degré) avait oublié le plan de travail à Paris, la brillante scripte (premier degré) n’a pas juste refondu le planning, elle a sauvé le film. Puissent les scriptes être bénies, songez-vous à table entre deux pots géants de rillettes (merci Métro).

Vous l’admettez : vous n’avez pas forcément été parfaite sur ce tournage, vous non plus. N’importe qui serait devenu fou, alors vous considérez qu’avoir été simplement tyrannique est une sorte de réussite. Et puis bon, personne ne comprend jamais les réalisateurs : vous n’avez pas exigé que l’on monte ce travelling dans la neige pour faire votre maligne – la scène ne pouvait juste PAS être tournée autrement. C’est comme ça.

De retour à Paris, vous pensez être enfin sauvée. Tout de même, c’est dans la boîte, et certains de vos plans sont vraiment, vraiment beaux. Vous avez rongé vos doigts jusqu’aux phalanges et perdu deux ans de vie en stress, mais vous avez survécu et, plus important encore, vous y croyez. Même si vous avez désormais des ennemis officiels (vous auriez peut-être du rester sur Caramail) et une potentielle réputation de chieuse.
Que le montage commence…


Hop, coupez, collez, coupez. Au sens littéral du terme, donc. Vous passez quelques jours dans les sous-sols de l’école avec votre fidèle monteuse, et tout se passe au mieux : votre pointeuse, qui a retrouvé ses doigts, s’en sert pour vous confectionner de merveilleux gâteaux au chocolat (monter, ça creuse), et vous décorez la salle avec diverses affiches de films ; tout ceci contribue à la bonne humeur générale dans ce petit nid douillet – si l’on excepte les chaises de jardin avec lesquelles l’école fournit les salles de montage, ainsi que la menace constante que l’administration vous tombe dessus (vous n’êtes pas censés manger ou vous amuser, nom de Zeus).
Et puis les professeurs viennent voir le film… Oh, ce ne sont pas des dragons, loin de là ! Les deux chefs monteuses chargées de vous accompagner au long de votre magnifique parcours sont, aux yeux des élèves, plus des copines qu’autre chose. Le hic, c’est qu’elles ne vont pas encenser vos films pour autant. En l’occurrence, le verdict est sans appel. Pour formuler les choses d’une façon simple, claire et concise : votre film est nul à chier.

Bon. Voilà voilà.

Que faire ?

Votre monteuse, qui ne renonce jamais, décide de prendre le problème à bras le corps. Vous filmez donc l’intégralité des rushes sur l’écran du banc de montage, et allez tenter de remonter le film sur ordinateur – ça sera tout de même un peu plus rapide, vous cesserez d’abîmer la pellicule qui, rappelons le, sera projetée par la suite, et non, ce n’est pas tricher si tout le monde fait pareil !

Restons lucides : il n’y a pas mille façons de monter un court-métrage de dix minutes. Vous obtenez donc quelque chose de simplement « moins pire ». Pas mieux, moins pire. Nuance.
Vous réalisez, accessoirement, que faire un film à effets spéciaux… sans effets spéciaux, ce n’était peut-être pas une si bonne idée que ça. L’un de vos personnages principaux n’est en effet rien d’autre qu’un pommier maléfique (oui, oui), et vous comptez faire passer cela uniquement à travers le contre-champ (le regard effrayé de l’héroïne) et les bruitages (mais vous êtes loin d’être ILM).
Pour l’anecdote, le film de l’un de vos petits condisciples impliquait une araignée géante. Encore des effets spéciaux en off, cela va de soi. Hum.

Et vous voguez doucement vers la projection, la peur au ventre…
La bonne nouvelle, c’est que la majorité des films projetés ne sont pas mieux que le vôtre – alléluia ! Et puis nous ne sommes qu’en deuxième année, les élèves se font encore plus ou moins plaisir, et peu de films sont des œuvres malsaines et masturbatoires. Disons plutôt que le tout est un festival de joyeux nanars.
La mauvaise nouvelle, c’est que votre film est projeté dans des conditions pour le moins apocalyptique. A commencer par un début en totale désynchronisation entre le son et l’image… Vous n’y pouvez rien, problème technique – en attendant, cela met le jury de mauvaise humeur. La projection recommence, mais comment décrire l’état de votre bande ? Votre image est prisonnière, en fait : elle est coincée derrière des barreaux. Littéralement : de longues, longues lignes strient votre pellicule de haut en bas. Miam. Plus rayé que ça, tu meurs (forcément : suicide) !

Etrangement, votre cerveau a réalisé une sorte de tri sélectif sur ces souvenirs, et vous peinez à vous rappeler en détail des critiques du jury… Vous gardez tout de même en mémoire cette grande phrase, que le professeur d’Histoire de l’Art vous a froidement jetée, d’un ton laconique, vous rappelant par là même votre humble condition de mortelle : « Vous ne croyez pas au cinéma ».

Eh ben celle là, c’est la meilleure !

lundi 29 novembre 2010

French touch.

Quand une vidéo de trois minutes résume des pages et des pages de critique… Que dire ? Si je partage ceci, c’est (forcément) que je trouve cette chose merveilleuse, pour ne pas dire génialissime.

http://www.dailymotion.com/video/xfkkc4_palmashow-comment-s-ecrit-un-film-d-auteur-francais-y_fun

Mon Dieu, ces gens sont entrés dans ma tête, c’est effrayant, j’ai l’impression que tout cela sort de moi ! On a encore violé mon esprit ! Arg !

Bref. Je n’avais pas le plaisir de connaître ces gugusses, que je tiens désormais en très haute estime (sourire victorieux) – si vous les connaissez, ben, embrassez les pour moi, tiens.

vendredi 26 novembre 2010

Projection et stressomètre (1)

Lorsque vous êtes quelque peu déprimée, vous allez vous réfugier dans une salle obscure. Passées vos sombres réflexions sur le fait qu’aller au cinéma seule est, selon vous, l’apothéose de l’abandon et du désespoir (vous êtes quelqu’un de très sociable), vous vous laissez aller, oubliez tout et vivez deux heures de bonheur parfait durant lesquelles vous êtes AILLEURS.
Et dire qu’il y en a qui se demandent pourquoi les films d’auteurs chiantesques ne sont pas votre truc… Eh oui, cinéma français, parfois nous n’avons pas envie que nos problèmes nous soient renvoyés au visage, qui plus est d’une façon grise et moche.

Toujours est-il que, sachant que vous allez au cinéma aussi souvent que possible… à la base, on peut dire que vous passez actuellement beaucoup, beaucoup de temps chez vos amis à l’uniforme bleu.
(Eh bien oui, quoi. Vous ne pensiez quand même pas que ce métier aidait à avoir constamment le moral ?)

Pas plus tard qu’hier, le film que vous alliez voir a débuté sans les sous-titres, et surtout totalement anamorphosé ; un petit incident qui s’ajoute à votre liste d’anecdotes cinématographiques, ou plutôt de petites catastrophes de projection. Quand on passe sa vie au cinéma, on finit par avoir vécu plus ou moins tous les cas de figures. Plusieurs fois !
Pas de son. Lumières qui ne s’éteignent pas. Pellicule qui casse. Mauvais film. Bagarre – si, si. Les deux zouaves avaient roulé vers l’avant sur plusieurs rangées en s’envoyant des insultes qui dévoilaient de façon parfaite leur quotient intellectuel. En même temps, vous n’en aviez que faire – vous aviez déjà vu le film, et puis vous étiez trop concentrée sur votre Magnum, qui s’était fracassé dans son emballage et que vous deviez laper à l’aide du bâtonnet (ne jamais acheter de glace au cinéma).

Et puis, bien entendu, il y a le pire des cas de figures ; celui pour lequel vous ne souriez pas en vous disant que le projectionniste est un être humain, et que tout cela est plutôt mignon (oui, oui, mignon. J’ai dit).
Le pire des cas de figures, c’est celui qui, malheureusement, tend à croître d’une façon dramatiquement exponentielle dans nos chères petites salles obscures : le crétin qui répond au téléphone.
Variante : le crétin en bande, qui est entré dans la salle pour se réchauffer et qui, non content de mener à voix haute une conversation d’un formidable intérêt avec ses amis, ose déclamer (très fortement) : « C’est quoi le film ? »
Bon sang, vous pourriez tuer. Le cinéma, c’est sacré. Pour vous, acheter un seau de pop-corn est passible de la peine de mort. Et que dire des infectes imbéciles qui consultent leur téléphone pendant le film ? Votre fantasme absolu, c’est de vous lever, d’attraper le machiavélique appareil et de le jeter aussi loin que votre bras sportif (…) le permet. Calmement, impassiblement, comme un grand méchant de cinéma (Alan Rickman vous a toujours inspirée).
Alors les gens qui répondent au téléphone… ceux dont le téléphone sonne… Rien que d’y pensez, vous virez au rouge et de la fumée sort de vos oreilles.
Et ils sont TOUJOURS assis à côté de vous ! Loi de Murphy.
Pour l’anecdote, il faut tout de même préciser que, pour ce qui est de la sonnerie, l’ennemi public numéro un n’est pas un ado, une racaille ou une blonde écervelée. C’est un VIEUX. Un papy-mamie. Quelqu’un qui est bien gentil, mais qui ne comprend visiblement rien à la technologie de base, et dont le vieux Nokia va diffuser joyeusement une sonnerie archaïque pendant la scène la plus poignante du film – loi de Murphy, je vous dis.
Souvenez-vous donc de cette projection de « Des Hommes et des Dieux »… La salle était comble, et on pouvait y compter environ dix personnes de moins de soixante ans – jamais vous n’avez entendu autant de sonneries. Le plus drôle, c’est quand l’intéressé feint de ne rien remarquer. « C’est pas mon portable, la la la, je me concentre très fort sur l’écran ».
Un peu étrange, tout de même, ce choix musical du réalisateur à la fin du film, sur ce long plan enneigé… Ah, non, pardon, c’est le vieux devant moi.


Il faut bien avouer, toutefois, qu’aucune de ces projections n’égale, sur l’échelle de l’apocalypse cinématographique, les projections de vos films d’école.

Il y a le jury, certes. Les remarques cinglantes, les humiliations et les traumatismes qui vont avec (le jour où vous gagnerez votre Oscar, vous avez prévu de dire une phrase sur votre professeur d’Histoire de l’Art dans votre discours. Histoire de lui clouer le bec une bonne fois pour toutes, même si les Oscars ne l’intéressent probablement pas, et qu’il préfère sans doute réfléchir à sa triste condition de mortel devant un film expérimental insoutenable).

Mais il y a aussi la technique, qui ne suit pas. Pourquoi suivrait-elle ? Ce ne serait pas drôle…

De toute façon, s’il y a bien une chose dont vous êtes sûre, c’est que vous risquez de mourir d’une attaque foudroyante à quarante ans (si toutefois vous parvenez à vos fins, et finissez effectivement par devenir, officiellement, réalisatrice...). Trop de stress. La préparation, le tournage, la postproduction, les interminables disputes avec les producteurs, les caprices des uns et des autres (je dis bien des uns et des autres… pas des acteurs !), tout cela, c’est une chose. Mais lorsqu’enfin, après la bataille, épuisée par des semaines de montage, mixage et autres activités vous ayant réduite à l’état de goule, alors que vous n’aspirez qu’à un repos bien mérité, la projection s’annonce… le stressomètre fait un bond en avant. Il implose, même. Et vos films d’école ne vous ont guère aidée, à ce niveau là.

En premier lieu parce que vous n’êtes pas sans savoir que le projecteur de l’école raye les bobines… Si, si.
Mais pour cela, il faut d’abord arriver à la projection – mener le film à bien (faut-il préciser à nouveau que, en soi, c’est déjà toute une aventure ?), et ne pas malmener sa pellicule. Car, gag ! Vous montez « à l’ancienne », sur une belle pièce de musée où vous coupez et collez la pellicule en question. Et, cerise sur le gâteau, vous devez projeter la copie de travail. Voyez-vous, on a pensé, en haut lieu, que le fait de travailler directement sur la copie définitive du film vous inciterait à en prendre soin. Ce dont vous prenez surtout soin, finalement, c’est votre ulcère, là…


(Oui, je tiens à vous conter les mémorables projections en question. Toutefois, elles méritent un article à elles seules).

(Wow. Quel suspense. Je fais un petit cliffhanger, là, non ?)

(Non ? Vraiment ?)

(Bon. Tant pis. Je vous raconterai quand même).

mercredi 3 novembre 2010

La vie, la mort, et Jurassic Park.

J’adore le Japon. Non, pire que ça – je rêve désespérément d’aller au Japon. Le pays du Soleil-Levant se situe dans le Top Ten de mes fantasmes exotiques, aux côtés de « aller à Los Angeles pour un rendez-vous professionnel » et « aller à l’aéroport de Wellington pour y voir Gollum ». Vous imaginez ? Ce n’est même pas pour une raison cinématographique, c’est dire. Il va de soi que non, je n’ai pas de mèches roses assorties à mes chaussures compensées d’inspiration érotico-mangaïesque. Oh, je ne renie pas un bon manga de temps à autres, et je pourrais mourir pour un bon restaurant (je suis un être humain, tout de même), mais je ne suis pas du genre à attendre trois heures sous la pluie pour entrer à Japan Expo en écoutant de la pop japonaise (même si, avouons-le, Berryz Kôbô, c’est cooooool). C’était une précision nécessaire…
Quoiqu’il en soit, j’aime le Japon. Aussi avais-je été interpellée par la façon dithyrambique dont mon professeur d’Histoire de l’Art nous parlait de « Hiroshima, mon amour », d’Alain Resnais. Il en parlait… amoureusement, justement. Alléchée par l’histoire (et par les propos de l’être diabolique, donc), je me rendis, sans préjugés, au cours durant lequel nous devions assister à la projection du film. En fait, j’étais même persuadée d’adorer…
Alors pardon, Monsieur Resnais, pardon. Mais ce fut long, interminable et douloureusement, abominablement soporifique. Je ne crois pas avoir ressenti autre chose que de la peur. Oui, de la peur : mon Dieu, que m’arrive-t-il ? Suis-je si différente des autres êtres de mon espèce ? Pourquoi n’ai-je pas les mêmes… préférences ?
Je n’étais pas seule, comme je le découvris dans le regard effaré de quelques uns de mes condisciples (très peu – nous sommes en France, ne l’oubliez pas). Or, je me souviens tout de même (ha, ha, ha) que l’une de mes petites camarades avait pour habitude de clamer haut et fort sa vénération pour cette œuvre. Cette jeune demoiselle, vêtue comme une « artiste », était fière de dire que ce film avait changé sa vie. Hmmmmm (bruit dubitatif). Ayant pris connaissance de la chose (disons, du long-métrage), je commençais à douter quelque peu de la sincérité de ses propos…

Que voulez-vous ? Les étudiants en cinéma se croient obligés de citer des classiques – souvent les pires – lorsqu’il leur est demandé de citer leur film préféré. Ce n’est pas forcément méchant ou prétentieux… Il nous est simplement physiquement impossible de dire « Bonjour, je suis là parce que j’ai vu « Terminator 2 » quarante-trois fois en quinze ans et que j’aimerais en réaliser une énième séquelle ». Comme nous l’avons déjà vu, nous ne somme pas formatés en ce sens…
J’ai récemment eu droit, pour la trois-cent-quarantième fois, à la grande question.

Jeune étudiant
Et alors, ton film préféré ?

Vieille créature aigrie
« Jurassic Park » – et toi ?

Jeune étudiant
Moi ? En ce moment, je dirais « Ascenseur pour l’Echafaud », de Louis Malle…

Vieille créature aigrie (qui passe, alors, pour une débile mentale)
Hmmmmmmm.

« En ce moment » ? Comment ça, « en ce moment » ? On a un film préféré ou on ne l’a pas ! Et au diable les préjugés. Quand on vieillit, on apprend à assumer… Bon, surtout quand on quitte l’école, en fait, et que l’on n’a plus peur que la STASI nous dénonce au professeur d’Histoire de l’Art.


« Jurassic Park » a été diffusé une énième fois cette semaine, et, comme à chaque fois, vous avez un petit pincement au cœur. Pas un petit pincement de regret, non, un petit pincement d’affection. JP, c’est un membre de votre famille, quelque chose de plus familier que votre grand-tante ou que vos cousins. Vous avez grandi avec JP, et il vous a accompagnée tout au long des grands moments de votre vie. La veille de votre entrée à l’Ecole (hasard extraordinaire, tout de même !), il a été diffusé – vous aviez pris ça comme un signe divin. C’est à lui que vous devez le début de votre grande histoire amoureuse (oui, on peut « pécho » avec JP). Vous le connaissez par cœur, vous l’avez parodié, vous l’avez vu mille fois et pourriez le revoir mille autres. JP vous consolera toujours quand vous allez mal, et JP vous donnera toujours l’impression d’être à la maison si vous êtes loin. Et puis, il faut bien l’avouer : on ne s’ennuie jamais avec JP.
Vous avez toujours peur quand le sol tremble à nouveau et que Ian Malcolm rappelle ses camarades à la Jeep. Vous stressez toujours quand la Petite Futée rend difficile l’accès à la remise. Vous avez toujours un frisson d’angoisse quand vous voyez de la gelée verte. Et vous rêvez toujours au moins une fois par mois que vous êtes poursuivie par des Raptors / un T-Rex / les deux (bon, d’accord, là, c’est peut-être pathologique).

That’s entertainment !

Le prénom du héros de votre premier film d’école n’était autre que Ian.
Vous citez au moins une fois par jour, la plupart du temps de façon inconsciente, une réplique de « Jurassic Park » (ou hum, parfois, aussi, de « Independance Day ». Mais vous n’y pouvez rien si Jeff Goldblum a eu tant de bons rôles, et joue tellement bien le joyeux cynique blasé. Gloire à Jeff Goldblum).
Tout ce que vous avez retenu de « The Social Network », c’est que Joseph Mazzello était le troisième colocataire au fond à droite. Joseph qui ? Ben, Tim. Le petit garçon qui a vomi dans la voiture.
Voiture que vous vous êtes d’ailleurs jurée de posséder un jour, même si rouler dedans impliquera probablement de vous faire jeter des cailloux (certaines mauvaises langues s’appliquent depuis des années à vous faire comprendre que vous auriez l’air ridicule, pour ne pas dire franchement con).
S’il vous arrivait de vous marier (une aberration hautement improbable, mais on ne sait jamais), vous souhaiteriez remplacer la marche nuptiale par le célèbre thème de John Williams. Une affirmation véridique, même s’il est vrai que vous hésitez un peu depuis qu’un ami l’a dénommée « la marche des dinosaures »…

Toute votre vie, je vous dis.

Alors qu’une petite péronnelle ose prétendre qu’elle est là parce qu’elle a vu « Hiroshima mon Amour » étant petite… cela vous fait bien rire, et vous ne pouvez vous résoudre à y croire. Ou alors elle n’a vraiment, vraiment pas eu une enfance normale.

Ou, pire encore, VOUS n’êtes pas normale. Mais ceci reste encore à déterminer.



(Pour en revenir à ma digression originelle… Puisque vous ne l’avez pas demandé – mon fantasme exotique très précis impliquant le Japon est le suivant : « Lire un roman de Haruki Murakami au Japon ». Gloire à Haruki Murakami).

jeudi 21 octobre 2010

Dépression post-natale et autres histoires.

C’est foutu – vous êtes officiellement en plein baby-blues. Ne nous méprenons pas : aucun petit être suintant et dégoulinant de mucus n’a récemment jailli de vous, écartelant tout ce qui se trouve sous vos sous-vêtements Bob l’Eponge. Dieu merci, vous êtes toujours un être libre, insouciant et immature, et le monde vous appartient (… potentiellement).
Non, ce qui est arrivé est pire encore : vous avez accouché d’un beau court-métrage, et vous êtes désormais TOTALEMENT désœuvrée. Après des semaines de frénésie, vous réalisez avec amertume que l’aventure touche à sa fin. Le mixeur mixe. L’étalonneur étalonne. Le compositeur compose. Le réalisateur déprime.

Certes, vous attendez impatiemment votre première projection, à laquelle vous comptez bien convier la moitié de l’hémisphère nord. Et il y a les festivals – vous jouez les blasées mais vous fantasmez secrètement sur un océan de gloire, cela va de soi.

Oh ! Vous, là, dans le fond. Arrêtez de me prendre pour une mégalomane. Il faut bien croire un peu en ses métrages, qu’ils soient courts ou longs…

En l’occurrence, vous aimez bien votre dernier bébé. Il n’est peut-être pas parfait, mais vous êtes fière du travail accompli. Et vous riez toujours à la cinquantième vision, ce qui est plutôt bon signe. Bien entendu, vous restez lucide : tout ce à quoi vous pouvez prétendre, c’est un prix du public... C’est que, voyez-vous, vous êtes une rebelle : vous avez réalisé une comédie. Avec une touche de fantastique. Autant dire que, n’ayant pas philosophé sur le sens profond de la vie, vous ne pensez pas vraiment être en mesure de battre une bonne bouse estampillée FEMIS.
Et alors ? Le prix du public, c’est la plus belle récompense qui soit – vous voulez faire rêver les gens, ou, du moins, les faire rire après une journée de merde. On n’est pas là pour faire plaisir à Télérama…

Assez digressé, revenons en à la dépression.

Peu importe le plaisir de voir son film terminé, d’entendre les gens rire et de les voir applaudir (ou pas… hum) : l’orgasme est derrière vous. On dira ce qu’on veut, mais le tournage, il n’y a quand même rien de tel…
Bon, nous sommes d’accord : tourner, ce n’est rien. Ce n’est que le début d’une longue série de nouvelles aventures rocambolesques, pour ne pas dire de déprimantes emmerdes. Mais ceci est une autre histoire…
Tout cela sans compter, bien sûr, cette fameuse maxime, rédigée par un célèbre auteur au dix-huitième siècle : « on verra en post-prod’ ». Tant d’êtres innocents ont été sacrifiés de par les âges parce qu’un imprudent avait prononcé ces mots…
Toujours est-il que l’apothéose d’une épopée cinématographique, le climax de l’élaboration de votre film, bref, le top du top, pour vous, c’est le tournage. Ze place to be. L’endroit magique où l’on prend son pied. Après, ça retombe un peu. Comme un orgasme, je vous dis ! Vous êtes sur votre petit nuage et vous savez qu’il y en aura d’autres. Mais pour l’instant, c’est fini, et faut aller faire à bouffer, parce que les émotions, ça creuse. Retour à la réalité.

Accessoirement, il se trouve que vous êtes une illustre inconnue, et que personne ne va venir vous chercher, portefeuille en main, pour vous proposer de réaliser un nouveau court-métrage. Là, tout de suite, maintenant, votre avenir est plus qu’incertain. Diantre. Quand allez-vous donc à nouveau crier « action » ?!
Vous avez carrément la pression, en fait. Votre film a intérêt de cartonner, sans compter qu’il est, pour l’instant, le dernier petit fil ténu vous rattachant un tant soit peu au monde merveilleux du cinéma.

Pour ajouter à l’ironie de votre situation, vous êtes en pleine mission d’intérim. Jusque là, rien d’extraordinaire. Vous passez vos journées sur des chèques et des dossiers de cotisation retraite – PASSIONNANT. Oui, si ce n’est que vous bossez pour la boîte qui gère tout le monde du spectacle, et que vos petits yeux de lapin myxomatosé voient défiler d’heure en heure des noms de boîtes de production prestigieuses. Ces enfoirés de chèques sautent sur le bureau, vous montrent du doigt et se foutent ouvertement de vous : « Ah ah ah ! T’as vu où tu pourrais bosser, espèce de smicarde ? »

Putain. Que quelqu’un me trouve un concours de scénario, vite !

mercredi 15 septembre 2010

Casting.

Votre meilleure amie travaille sur un film avec Kristin Scott Thomas et Ethan Hawke. Votre petit-ami, quant à lui, œuvre sur un film de genre avec Jason Flemyng. Tout ceci a pour conséquence de déprimer profondément la vieille créature aigrie que vous êtes – la jalousie est un péché, certes, mais il ne faut pas pousser, tout de même.
Ajoutons à cela que le fait de vivre dans un monde où fleurissent les réseaux sociaux ne vous aide guère à contrôler vos pulsions néfastes… Un technicien, même très bon, va forcément crier sa joie et sa fierté sur sa page à un moment ou à un autre – pour ne pas dire qu’il va se la péter.
Bande de traîtres.

Bref, votre entourage allie bonheur, travail et argent, et vous croupissez dans votre salon, ne devant votre salut qu’à une série télévisée dont vous engloutissez assidûment tous les épisodes – jusqu’au message fatidique, bien entendu, décrétant que vous avez regardé soixante-douze minutes de vidéo et qu’il vous faut désormais payer (impensable !) ou attendre cinquante-quatre minutes. Les amateurs se reconnaîtront…

Entre deux épisodes, vous vous interrogez donc. Nom de Zeus, qu’ont-ils donc tous, à clamer ainsi leur éclatante réussite professionnelle à travers les noms de ceux avec qui ils travaillent ?
« - Salut, j’ai un Prix Nobel de physique quantique.
- Enchanté ! Je suis moi-même titulaire d’un doctorat en astrophysique.
- Ha, ha ! Moi, j’ai travaillé avec Kevin Kline, excusez du peu ! »

Pffff. Même pas des SUPERSTARS. Juste des stars. On est loin de Brad ou de Julia, pas de quoi frimer.
N’importe quoi. Vous détestez les acteurs, de toute façon. Parfaitement. Tous plus tordus les uns que les autres. Les acteurs…

Flashback.

- 10 000 AV JC. Encore jeune et insouciante, vous préparez votre court-métrage de fin d’études. Profil du rôle principal : jeune femme d’environ vingt-cinq ans. Inutile de dire que vous avez eu environ deux millions de candidates… et des poussières.
Vous avez donc organisé un beau casting et aïe, aïe, aïe, comme à chaque fois, c’est un festival. Fort heureusement, un an auparavant, vous avez eu à affronter le démon au lait de soja, et vous êtes ressortie de cette épreuve plus impitoyable que jamais. Allez-y, donc, faites entrer les demoiselles… Même pas peur.

Candidate numéro un…

Elle arrive sûre d’elle, et à peine entrée, se présente immédiatement. Vous ne la connaissez ni d’Eve ni d’Adam, son visage ne vous dit rien, son nom encore moins. Vous vous présentez donc en retour, sans le moindre haussement de sourcil. La routine, quoi – vous êtes là pour faire connaissance, après tout.
Sauf que la demoiselle attendait visiblement une toute autre réaction, et vous annonce donc fièrement qu’elle est la fille de… (grand nom du cinéma français).
Wow, super ! La classe ! Euh, c’est qui ?
Vous sentez bien que vous passez pour une inculte doublée d’une bouseuse, et si l’on en croit la tête de la fille en face de vous, vous ne méritez même pas qu’elle vous accorde cinq minutes de son temps ; à votre décharge, son père a beau être très connu et très doué, c’est un technicien, pas un acteur, et vous n’avez pas encore fini d’ingurgiter votre Larousse du cinéma. Non mais oh.
Ce petit moment de gêne passé, vous entamez donc la conversation. Il va sans dire que, à moins que son jeu exceptionnel ne vous arrache des larmes dans les minutes qui viennent, vous ne la prendrez pas. Etrangement, le feeling n’est pas passé…
La demoiselle vous raconte son parcours, et vous appréciez particulièrement le passage sur l’année sabbatique qu’elle vient de prendre. Oh, oui, certes, rien de tel qu’un tour du monde lorsque l’on se cherche, à vingt ans... Au revoir, à bientôt, promis, je vous rappelle.

Candidate numéro deux…

Un bronzage surnaturel, une petite robe turquoise, voici une jeune femme toute fraîche et euh, nous sommes fin octobre mais bon, peut-être que c’est juste vous qui êtes un peu frileuse, et… oh mon Dieu, mais est-ce qu’elle porte seulement un soutien-gorge ?
Pour rappel, vous êtes donc la réalisatrice. Seulement, ce n’est pas vers vous qu’elle se dirige prestement pour se présenter, mais vers votre assistant, bien entendu – un individu de sexe masculin. Suis-je bête.
Inutile d’essayer d’engager la conversation pour la mettre à l’aise ; comme vous l’avez compris, cette fille là a très, très confiance en elle. Elle vous demande si elle peut s’asseoir pour jouer la scène – ah, effectivement, c’est assez intéressant… En même temps, chacun possède sa propre conception du mot « asseoir », j’imagine. Et puis, passer un casting à genoux sur le tapis, les seins posés sur la table basse, négligemment cambrée, c’est plutôt novateur.
Ce qui est fascinant, c’est que même la créature femelle hétérosexuelle que vous êtes ne peut PAS regarder autre chose que son opulente poitrine. De toute façon, l’actrice ne risque pas de vous remarquer, bien trop occupée qu’elle est à lire votre texte délicat en faisant les yeux doux à votre assistant, serrant bien fort les bras contre son corps afin de faire ressortir au maximum ses deux assistants à elle.
Vous auriez peut-être du préciser que votre assistant-réalisateur est également votre petit-ami. Oh, à quoi bon : étrangement, le feeling ne passe pas non plus.
Promis, je vous appelle dans la semaine…

Candidate numéro trois…

La candidate numéro trois répond à environ deux cent annonces de casting chaque jour, si ce n’est plus. Elle tente TOUT. Quand on y réfléchit, c’est assez courageux. Elle n’a peur d’aucun rôle. C’est une bosseuse, une battante… ou une pauvre fille n’ayant pas travaillé depuis des mois et cherchant désespérément à obtenir ne serait-ce qu’une ligne de texte, ce qui est malheureusement plus probable.
Toujours est-il que mélanger les castings, ce n’est pas forcément un choix disons… judicieux. Pour quel rôle est-elle là ? Pas sûre. A-t-elle aimé le scénario ? Pas lu. Serait-elle là aux dates fixées pour le tournage ? Ah, non, en fait.
Merci, au revoir, désolée.

Fort heureusement, vous aurez la chance de rencontrer quelques personnes absolument adorables, humbles et douées au cours de cette journée, et votre film se fera sans problème, la performance et le naturel de votre héroïne impressionnant même le jury. Bon, le second rôle finira dans le lit du producteur, mais personne n’est parfait.
Vous aurez même réussi à éviter certains candidats types, à votre grand soulagement. Par exemple, la folle acharnée, à la limite du suicide – celle à qui il ne faut pas dire non. Harcèlement téléphonique, pleurs, colère, menaces, et comment avez-vous pu la rejeter sans même l’avoir vue jouer ? Mais euh Madame, vous fûtes très gentille, mais ne le prenez pas à cœur comme ça : c’était un rôle de figurante. Muet. Tout de même.

Oh, ne croyiez pas que toutes les filles sont folles, et que cette charmante qualité qu’est la névrose n’est réservée qu’aux membres du beau sexe ! Les acteurs bizarres, c’est comme les feuilles mortes. On les ramasse à la pelle.

Vous avez eu droit à un magnifique harcèlement téléphonique, pendant plusieurs semaines, de la part d’un individu mâle âgé d’une cinquantaine d’années. Et cela arrive plus souvent qu’on ne le croit – vous en arrivez ainsi à rentrer leurs numéros dans votre répertoire sous des noms délicieux, tels « ATTENTION ! », « NE PAS DÉCROCHER », voire « GROS ENFOIRÉ ». Miam.

On remarquera également le cas de ces personnes étranges qui, lorsqu’elles se présentent et parlent avec vous, sont tout à fait normales et posées. Naturelles. Mais, lorsqu’elles jouent... Elles jouent. Elles JOUENT, même. Vous vous rappelez, tiens, de ce monsieur fort sympathique, auditionnant pour un rôle – très sérieux – d’avocat. Pourquoi, à l’instant même où il se met à lire le texte, prend-il des intonations de clown, tout en levant les bras en l’air et en bourdonnant comme une abeille en rut ?
Certains olibrius se sentent obligés de jouer. Pas de surjouer, nuance – de montrer qu’ils jouent. C’est étrange, mais quand vous tombez sur des fictions françaises à la télévision, vous ne pouvez vous empêcher de penser que c’est comme la baguette de pain : c’est une spécialité locale. En moins bon...


Retour au présent. Votre téléphone sonne.

...

Et voilà. Il semblerait donc que Kristin Scott Thomas ait été très sympathique. Quant à Ethan Hawke, il serait absolument adorable, humble et discret au possible...

Pffff. Soyez tous maudits !

mercredi 4 août 2010

Mayday, Mayday!

Comme beaucoup de cinéastes en herbe, vous misez énormément sur les concours. Concours de scénario, concours de courts-métrages, Euro million.

Pour vous, depuis que Billy Bob Joe a rendu l’âme, c’est plutôt les concours de scénario. Billy Bob Joe, c’est votre fidèle caméra, le cadeau de vos dix-huit ans pour lequel amis et famille s’étaient cotisés – et à l’époque, il avait fallu beaucoup de Francs… Une bonne vieille caméra DV, qui en a connu des vertes et des pas mûres, et qui a décidé l’an dernier de dévorer toute bande ayant le malheur d’y être insérée. Hasta la Vista, Billy Bob Joe. Vous voilà sans caméra, mais toujours avec de quoi écrire.

Vous tentez donc régulièrement votre chance. Régulièrement, c'est-à-dire qu’une fois tous les six mois, vous avez une sorte de regain de motivation, que vous pondez d’un coup une tonne de trucs, et puis que vous vous dites ensuite que vous êtes nulle et que vous écrivez de la merde, jusqu’à ce que six mois après… etc, etc.

En l’occurrence, vous avez été prolifique à Noël dernier. Fin janvier, vous vivez donc depuis un mois déjà dans l’expectative… Parce que c’est bien ça, le problème : vous avez beau vous dire que vous êtes une merde, vous vous trouvez quand même géniale de temps à autre, et vous avez envie d’y croire.
Et puis, un jour, un moment magique arrive – vous savez, un de ces instants bizarres où le temps semble flotter, et où tout concorde parfaitement pendant quelques secondes, voire quelques petites minutes, pour former un tout si parfait que vous pensez alors « je suis heureuse ». Un moment au cours duquel des choses qui avaient si peu de chances d’arriver en même temps se produisent, et cette coïncidence si merveilleuse vous pousserait presque à croire que vous avez glissé hors de la réalité.
Vous pouvez ainsi escalader la dune du Pyla par une belle fin de journée d’été – il fait chaud, mais pas trop ; vous découvrez le lieu et trouvez tout cela assez magnifique : ce sable à perte de vue, l’océan qui s’étend derrière vous… vous atteignez le sommet et, rêveuse, vous vous laissez transporter par la magie du lieu. Le soleil se couche et scintille sur l’eau, le ciel touche au sublime, et votre chanson préférée qui passe ne fait qu’ajouter à votre félicité, et… quoi ? Votre chanson préférée ? Vous n’avez rien sur vous, si ce n’est une serviette de plage – comment une chanson vieille de plus de dix ans et que tout le monde a oublié peut-elle se retrouver à cet instant précis, à cet endroit, avec vous ? Ben, y a un type avec un lecteur CD, là derrière la motte de sable… Mais la coïncidence était trop belle, le moment trop parfait – c’était magique, comment le dire autrement ?

Vous avez saisi l’idée ? Bien.

Revenons à nos moutons. Un jour, donc… vous êtes au beau milieu du zoo de Budapest. Le mois de janvier touche à sa fin, toute la ville est sous plus d’un mètre de neige, et vous êtes sur le point de perdre vos orteils (lesquels ? tous).
Mais le temps est radieux, le ciel bleu à l’infini, et le soleil au rendez-vous. Vous êtes dans la section « Afrique », et le spectacle est assez incroyable – il faut dire que vous n’auriez jamais pensé voir des girafes sous la neige. C’est… féerique. Vous pourriez rester là des heures, à simplement les regarder. Vous sentez alors, contre votre cuisse engourdie, votre téléphone qui vibre. Aïe aïe aïe. On vous appelle de France. Mauvaises nouvelles en perspective : tout le monde sait où vous êtes, quelque chose de grave est probablement arrivé. Vous répondez. Ouuuh, la mauvaise nouvelle !
Vous avez gagné le concours de scénario du mois dernier ! Joie, bonheur, merci les girafes – promis, je ferais de vous l’emblème de ma société de production.

« Je suis heureuse ».


Six mois plus tard…

« Je vais tous vous buter ».

Vous êtes censée tourner dans deux semaines, et rien ne va plus. Tout avait pourtant si bien commencé…
Vous étiez sortie de votre première rencontre avec vos producteurs gonflée à bloc. Bon, d’accord, ce n’est pas vraiment une boîte de production, et ce ne sont pas vraiment des producteurs. Mais ce sont indubitablement d’adorables passionnés qui sont prêt à investir un certain budget dans votre petite histoire. La page Internet du concours précisait que le lauréat verrait son scénario déposé à la SACD, et qu’il y aurait « possibilité de co-réalisation ». Vous étiez donc partie dans l’idée que vous vous contenteriez de la gloire timide et discrète du scénariste, et la simple idée de devenir «officiellement» un Auteur Dramatique emplissait votre petit cœur de joie. Mais vos producteurs vous annoncent immédiatement que non, vous allez bel et bien réaliser ! Ils veulent simplement avoir un «droit de regard»… Aucun problème pour vous. Vous n’êtes pas quelqu’un de compliqué, et puis vous leur êtes drôlement reconnaissante.
En fait, cette première entrevue se passe excellemment bien. Pour dire les choses simplement : vous ordonnez, ils exécuteront. Plus ou moins ce dont tout réalisateur rêve, en somme. Vous créez, et ils mettront tout en œuvre pour que ce qui sort des méandres de votre petite cervelle fumeuse se réalise. Vous avez visiblement la même vision du film, et vous sentez que cette collaboration peut être fructueuse – ils ont le budget, vous avez les idées, vous allez cartonner.

Pauvre créature naïve que vous êtes ! Vous n’apprendrez donc jamais rien ?

Quoiqu’il en soit… pour l’instant, vous y croyez. Dans un élan de bravoure (ou d’inconscience, c’est selon), vous écrivez à des acteurs pour le moins… célèbres, dans l’espoir qu’ils jouent dans votre court-métrage. Pourquoi pas… cela s’est déjà vu, non ?
Pas pour vous, en tous cas. Niveau de réponse : zéro. Même pas une petite réponse négative. Pour un peu, vous auriez l’impression de chercher du travail. Oh, vous étiez tout à fait consciente du fait qu’il y avait peu de chances que votre missive franchisse la barrière de l’agent, cette créature diabolique et redoutée de tous. Un court-métrage ? Pas payé ? Ha, ha, ha ! Et pourquoi pas une pub pour la constipation passagère, tant qu’on y est ?
Prévoyante, vous aviez pourtant joint à votre petit dossier une lettre pour le butor, du type « oh hé ducon, je sais comment ça se passe dans ton milieu de merde, mais laisse pas mon truc moisir en haut d’une pile, merci bien ». En plus poli, quoi. Peut être que les agents n’ont pas d’humour.
Peut être que votre scénario est à chier, en fait. Qui sait ?

La date approche lentement. Vous n’avez pas d’ingé son, pas de chef op’, mais vous avez un régisseur. Votre lumière sera peut-être à chier, mais au moins, vous aurez droit à du cake de tournage et à des spaghettis bolognaise, non mais oh.

Les jours passent. Vous trouvez vos acteurs, faites des essais, pleurez de rire – c’est bien simple, quand vous regardez vos rushes, la caméra en tremble. Vous êtes toujours motivée. Ce film peut être bien.
La date approche un peu plus vite (ingénieur du son : 0, chef opérateur : 0), et c’est alors que l’évènement intitulé « Catastrophe Majeure Numéro 1 » se produit. Pour vous, en tous cas, c’est une catastrophe. Une bande-annonce tourne sur Internet ; cette bande-annonce pourrait ressembler à des milliers de bandes-annonces de gros blockbusters estivaux… si le film ne portait pas exactement le même nom que le vôtre. Bien entendu, il traite d’un sujet similaire. Bien entendu, les crétins décérébrés à l’origine de ce cataclysme auraient pu traiter d’un sujet similaire sur le ton du drame, là où vous faites une comédie. Non, c’est une comédie. Evidemment.
Thérèse, c’est une catastrophe.

Mayday, mayday. Votre moral est en chute libre. Qui voudra croire que vous avez écrit votre scénario il y a plus désormais plus de six mois, et qu’à l’époque tout cela vous paraissait follement original ? Votre film va passer pour un gros plagiat. En conséquence, vous songez à vous faire hara-kiri, mais bon – pas avant d’avoir eu un Oscar, on a dit. Vous vous contentez donc de déprimer en silence, c'est-à-dire sur Facebook. Vous êtes tellement 2010…

Le hic, c’est que la CM°1 semble avoir été le déclencheur de toute une série de Catastrophes Majeures. Votre acteur principal vous annonce notamment qu’il part en vadrouille, et ne sera pas disponible avant… le jour du tournage. Dans le cul la balayette, comme on dit chez vous. Adieu essais, costumes, maquillages. Votre entourage conteste cette CM : « ca pourrait être pire », « ce n’est pas grave, il est tellement bon »… Très bien. Vous voulez de la bonne grosse catastrophe, vous allez en avoir. Il ne fallait pas demander.
Votre cadreuse a un accident de voiture. Si, si. Elle va bien, mais elle se fracture des tas d’endroits utiles. Donc… non, vous n’avez plus de cadreuse. Mais ce n’est pas grave – après tout, ce n’est pas comme si vous n’aviez toujours personne à la lumière… hum.

Mais que deviennent donc vos producteurs, au fait ?

Vos producteurs sont en vacances, et ont visiblement décidé de se la jouer à l’américaine, à savoir qu’ils préparent – contre votre gré, cela va de soi – le tournage d’une version de votre scénario qui ne vous plaît pas.
Parce que bon, votre scénario, vous l’aimez bien, mais… vous n’avez jamais vraiment aimé la fin. Vous l’avez plus ou moins torchée, il faut bien le dire – la date limite approchait à grands pas (disons le franchement, il vous restait à peines quelques heures), et il fallait clore la chose. Votre scénario a donc évolué vers une fin que vous jugez meilleure, plus mordante, plus en adéquation avec ce que vous voulez dire. Peut être pas encore parfaite, mais indubitablement meilleure.
Inutile d’avoir 150 de QI pour comprendre que, plus de deux semaines après l’avoir soumise à ses producteurs, ne pas avoir de réponse est plutôt mauvaise signe. Un signe que l’on pourrait traduire par « t’es bien gentille mais on trouve ça nul, et on ne sait pas comment te le dire ».
Vous auriez préféré que l’on soit honnête avec vous. Une petite conversation autour d’un verre et un bon brainstorming entre amis et hop ! Ca repart. Tsssss. Naïveté, toujours. Vos fesses vous picotent quand vous comprenez qu’ils préparent, sans vous en avoir touché mot, le tournage de la première version.

Non mais c’est pas possible, ça ! Ca ne fonctionne pas. C’est tout. Voilà. Vous le SAVEZ. Vous ne prétendez pas être Robert McKee, mais là… C’était une fin bidon pour grand public. Vous avez écrit une fin plus subtile. Vous êtes inconsolable. Ah, alors ça fait ça, de travailler à Hollywood et de se faire entuber par les frères Weinstein ?
En même temps, vous commencez à comprendre que vous n’avez PAS DU TOUT la même vision du film. Vous voulez faire une comédie cynique, noire et grinçante, n’hésitant pas à être vulgaire. Eux, ce serait plutôt une comédie familiale avec Eddie Murphy et un golden retriever. Vous voulez «Tonnerre sous les tropiques», ils exigent «Le Grinch». Aouch.

Ces mésaventures n’étant que des catastrophes parmi tant d’autres, vous aimeriez désormais savoir une chose : quel est l’enfoiré qui a bousillé une poupée vaudou à votre effigie ? - Inutile, toutefois, de préciser qu’une fois votre tournage terminé, une fois le montage achevé, une fois votre procès derrière vous (tu ne tueras point, qu’Il avait dit), vous contemplerez le produit fini et, ému, vous penserez, « putain, qu’est-ce que j’aime ce métier »…

La suite au prochain épisode…

mercredi 14 juillet 2010

Youkaïdi, youkaïda

Je n’ai jamais pris de drogue, et je ne compte pas essayer – je laisse cet acte pathétique aux faibles, si vous me pardonnez de l’exprimer en ces mots.
En revanche, je pense pouvoir dire que l’état euphorique dans lequel je me trouvais vendredi soir était relativement similaire à celui que l’on éprouve après s’être enfilé un bon gramme de coke. Et encore… !

Vendredi neuf juillet de l’an de grâce deux mille dix. Il est environ vingt-deux heures et je cours au ralenti dans de vertes prairies, chantant, dansant et virevoltant, le cœur empli de joie et d’allégresse. Je suis Maria Von Trapp dans la « Mélodie du Bonheur ». Pire encore, je suis Shahrukh Khan dans « Veer-Zaara ».
Bon, en fait, je suis sur un trottoir parisien, et il fait bien trop chaud pour sauter en l’air.
Pourtant, non, non, pas de coke, même pas un petit champignon.

Je viens de rencontrer M. Night Shyamalan !


Commençons par le commencement. M. Night Shyamalan a réalisé certains de mes « films préférés de tous les temps ». Mais, comme si cela ne suffisait pas, il sait faire ce truc bizarre, vous savez… Il met un bout de vous dans ce qu’il fait. C’est viscéral, cela ne s’explique pas. Vous voyez un film et ce film, c’est vous. C’est presque de l’ordre de l’intime, en fait – vous êtes touché parce que ce qui se passe à l’écran, c’est ce qu’il y a au plus profond de vous.
Bon, si je veux faire péter l’audimat, je peux dire que oui ! J’ai été violée par M. Night Shyamalan. Et pas qu’une fois.

Bref. M. Night Shyamalan était donc en master class à Paris, à la suite de l’avant-première de son nouveau film, « Le dernier maître de l’air » (on ne rigole pas). Même après avoir vu « Phénomènes », comment rater ça ? Ni une ni deux, hop ! J’avais acheté mon billet. A un prix astronomique, il faut bien le dire – putain de 3D.
Ayant décidé de m’abstenir d’écrire des critiques de films sur ce site (on n’est pas couchés, sinon. Et puis, accessoirement, j’ai une vie sociale), je passerai donc directement à la rencontre.

TADADAAAAA !

Il arrive. Vous ne trouvez pas qu’il ressemble à Michael Jackson jeune, vous ?
Bon sang. Ce qu’il a l’air jeune, d’ailleurs. Vous avez vraiment intérêt à vous magner le cul pour faire du cinéma.

Vous manquez de défaillir quand, à peine assis, le monsieur vous annonce que ses producteurs, Kathleen Kennedy et Frank Marshall, sont assis là, au premier rang. Ainsi que l’un de ses acteurs principaux. Quel acteur, déjà ? On s’en fout – KATHLEEN KENNEDY ET FRANK MARSHALL. Mille sabords de couille de pute !
Ce sont simplement des amis de Die… euh, de Spielberg. Et puis, ce n’est pas comme s’ils avaient produit une bonne partie des films cultes de votre enfance. Tout va bien, donc. On reste zen.
Et c’est parti pour le fantasme numéro 553 642. Le film se termine, tout le monde se jette sur Shyamalan, ignorant ses producteurs. Vous y allez, désireuse de leur serrer la main, de les remercier, de leur dire ce qu’ils représentent ! Vous engagez la conversation et, bien entendu, le courant passe à merveille. Ils prennent votre carte et… non, mieux – ils vous proposent directement un job de porteur de café.

Retour à la réalité.

Les minutes qui suivent se déroulent comme dans un rêve. Enfin, les minutes… une heure ? Deux heures ? C’est comme faire l’amour, finalement – tellement bon que vous n’avez aucune idée du temps que ça dure.
NB : bien entendu, je ne suis pas COMPLETEMENT irrécupérable, et le lecteur intelligent aura compris que je m’exprime rarement au premier degré (mais c’était vraiment bien, quand même… bon, d’accord, je me tais).

Indubitablement, le meilleur moment arrive lorsque c’est au public de poser des questions. Parce que parler placement de caméra, direction d’acteur et écriture, c’est délicieux, mais rien ne vaut une authentique question de geek. Vous savez, un bon gros fan, le genre à se pointer à une convention « Star Strek » avec son t-shirt de la série, et qui va tenir à prendre le micro pour signaler que dans l’épisode quarante-deux de la saison huit, lors de la scène quinze à la trente et unième minute, le troisième figurant sur la droite a chié sa réplique – de toute façon, peut importe qu’il l’aie chiée, puisqu’il était techniquement impossible que le générateur de propulsion spatio-temporelle permette au héros d’échapper aux Klingons avec seulement dix méga-watts d’énergie en stock pour une vitesse inférieure de 0,234km/h² à celle de la lumière. Gnnnn.

« Oui alors euh, tous vos scénarios sont parfaits, mais il y en a un qui n’est pas parfait, un seul, où il y a une grosse erreur – en fait, dans « La jeune fille de l’eau », l’écrivain demande à Story pourquoi le petit garçon qui doit sauver le monde n’est pas venu le voir, mais il ne peut pas venir le voir parce que son livre n’a pas encore été publié, et donc ça ne marche pas ».

Non, ce n’était pas moi – hors de question de poser une question si ce n’est pas LA meilleure question du monde. Donc, je me tais. Mais, en l’occurrence, j’ai bien rigolé – comme le reste de la salle. Il fallait voir la tête de la traductrice, qui essayait vainement de retranscrire les propos du dévoué fidèle. Shyamalan, quant à lui, n’a pu s’empêcher de demander, pour la question suivante, si l’on allait lui dire qu’il y avait un problème à la troisième ligne du scénario de tel film. Mais c’est qu’il a de l’humour, en plus ! Quel homme.

Mais vous connaissez les dures lois de ce monde – tout ce qui est bon ne saurait durer éternellement. Aussi les attachés de presse et autres illustres inconnus, se sentant investis d’une mission divine (en même temps, ils sont visiblement bien plus que riches que le public de pauvres fans que nous sommes, donc ils font la loi – logique) s’empressent-ils de pousser le Prophète vers la sortie. L’intéressé semble pourtant chaud-bouillant, parti pour des heures, mais que voulez-vous…
Shyamalan va partir.

En règle générale, vous jouez les blasées. Courir après un autographe : quel intérêt ? Prendre une photo ? A la limite... vous essayez toujours de rester digne et de ranger vos pulsions de cinéphiles au placard.
Mais là, vos pieds refusent de se diriger vers la sortie. Vous êtes totalement bloquée. Vous ne pouvez pas le laisser partir comme ça. C’est Shyamalan, merde ! Vous vous approchez doucement de la mêlée, que dis-je, du cocon humain qui entoure le réalisateur. Difficile de trouver une ouverture pour lui parler… Il est en train de signer une avalanche d’autographes, tout en répondant à de très sérieuses questions. Niveau intimité, on repassera. Mais c’est Shyamalan, et vos pieds sont très, très têtus. Vous approchez encore et vous vous retrouvez prise dans la vague humaine, poussée vers lui – pourquoi lutter ? C’est votre destin !

Il vous regarde pendant une fraction de seconde, alors votre bouche se met aussi à fonctionner indépendamment de votre cerveau, et vous le saluez. Votre main, qui a décidé d’entrer en rébellion à son tour, plonge dans votre sac pour y trouver votre fidèle carnet à tout faire, qu’elle ouvre en plein milieu, sur la première page blanche qui passe. Puisque que votre idole semble être en phase de signature, autant en profiter – vous lui tendez votre carnet. Enfin, c’est un coup de votre main, encore, parce que votre cerveau a plus ou moins abandonné la partie. Il le prend, vous sourit, et vous lui dites avec entrain… « Bon, vous m’embauchez ? »
Si vous commencez à avoir pitié, je vous préviens, arrêtez de lire tout de suite.

Vous êtes bien contente, parce que vous l’avez fait rire. Il vous dit que oui, dès qu’il vient tourner à Paris, il vous embauche. Et votre bouche, qui est décidément trop conne, lui répond : « Mais carrément ! Parce que je veux être réalisateur et… » … Et jusque là, tout va bien. Mais là, vous dites… vous dites… « Je vous vénère ».

Oui, j’ai dit ça. Mais comme je l’avais dit, tout cela a eu sur moi un effet pire que la drogue.
Et puis, second degré, toujours... Ne reste plus qu’à espérer qu’il a compris et n’est pas barricadé dans sa chambre, terrifié par cette fanatique terrifiante qui va peut-être venir le harceler et lui jouer un remake parisien de « Misery ».


S’il y a bien une leçon à tirer de cette histoire, en tous cas, c’est que si vous n’arrivez pas à vous motiver pour apprendre à parler anglais, voyez comme c’est utile, surtout pour sortir d’ineffables conneries aux gens que vous admirez.

jeudi 17 juin 2010

La pasión.

Vendredi soir… vous êtes assise dans le TGV, en compagnie de votre mère. Enfin… « assise » est un bien grand mot. Disons que la SNCF, dans son immense mansuétude, vous a donné, pour le prix d’un billet en seconde classe, « période de pointe », une jolie « place assisse non garantie » ; vous avez toutefois pu vous emparer de deux strapontins dans le couloir… Miam.

Etre assis à plusieurs dans un espace confiné, pendant presque deux heures, sans climatisation et le cul en compote, mine de rien, ça créé des liens. Vous sympathisez donc avec la dame-en-face-de-vous.
Fatalement, vous en arrivez à parler de vos métiers respectifs. D’une petite moue timide, vous tentez donc l’habituelle blagounette sur le fait que vous faites du cinéma… ou que, du moins, vous essayez.

Et là… là, la dame-en-face-de-vous éclaire votre journée.

Impressionnée, elle vous fait part de son admiration, et vous demande d’où vous vient cette vocation. Serait-ce parce que vos parents sont dans le monde du spectacle ? Elle se tourne vers votre mère, hilare. Humm, non. Il se trouve que votre mère est informaticienne. Quant à votre père, il est expert-comptable…

Vous lui racontez donc la genèse de l’histoire, votre petite légende personnelle – elle trouve cela très beau d’aller au bout de ses rêves.

Bon. Pourquoi suis-je en train de raconter cela ?
Tout simplement parce que, même si la dame en question s’est peut-être dit que vous n’étiez qu’une douce rêveuse, même si elle a peut-être pensé que vous aviez fumé trop de moquette, elle a vous redonné espoir.

Car OUI ! Le cinéma fait encore rêver !

Croyez-moi, c’est un scoop.

Il fallait voir la petite étincelle dans ses yeux quand vous avez murmuré le mot « cinéma ». Voilà quelqu’un pour qui, Dieu merci, le fait de faire des films reste exceptionnel ! Elle n’était ni blasée, ni jalouse, ni dédaigneuse, non. Juste épatée, sincèrement épatée. Pour un peu, vous en auriez des papillons dans le ventre.

La veille encore, vous parliez de cela – la nonchalance, pour ne pas dire l’indifférence, des gens du métier. Il faut dire que votre entourage, de votre petit ami à vos amies les plus proches, a un pied dans le métier – un pied bien avancé. Inutile de préciser que des histoires de tournage, vous en avez à gogo, tous les soirs (et vous, pour le coup, vous êtes jalouse et aigrie !)

Et, comment le dire autrement ? Cela vous brise le cœur, tous ces techniciens qui ne sont là que pour faire leur boulot… point barre. Bien entendu, vous ne jugez que sur ce que l’on vous raconte, et sur les gens que vous connaissez – sans compter que, bien entendu, vous ne connaissez pas un dixième des intermittents de notre beau pays.
Mais tous ces électros, ces machinos, ces rippers, ces décorateurs et autres assistants semblent tellement insensibles… Où elle est, cette putain de passion ? Alors d’accord, on vous répond qu’ils ont fait tellement de tournages que bla, bla, bla. Mais merde ! Certains ne lisent même pas le scénario…

Et puis, vous êtes tombée de haut quand vous avez réalisé que les tournages étudiants, c’est terminé – mis à part le réalisateur, les chefs de poste et le producteur, tout le monde s’en fiche, du film. Au sens où vous pouvez faire de la merde, personne n’ira vous le dire. Personne ne s’implique. Chacun fait son boulot, et le fait bien, mais rien ne tient à cœur à qui que ce soit.
Oui, d’accord, c’est une grosse machine, un film, et tout le monde ne peut pas s’enthousiasmer comme un gosse. Mais quand vous êtes au chômage forcé et que vous tueriez pour pouvoir voir votre nom à un générique quelconque, et savoir que vous avez contribué, ne serait-ce qu’un peu, à une œuvre audiovisuelle, ou même à un navet intersidéral… vous ne pouvez vous empêcher de penser que rhaaa, ce n’est pas JUSTE !

Le plus triste, que dis-je, le pire, c’est que sur un tournage, les gens sont absolument interloqués de savoir que quelqu’un aie pu suivre des études d’audiovisuel, et avoir un diplôme – c’est bien connu, ça ne sert à rien ! Tout le monde est arrivé là par hasard… Inutile de dire que le feu du cinéma, censé brûler en ces gens, vous y croyez de moins en moins.

A la sortie d’une projection en avant-première, pour l’équipe d’un long-métrage…

Vous (naïvement)
Alors, comment était le film ?

Votre agent infiltré (en haussant les épaules)
Bof… En même temps, on savait en le tournant qu’il serait nul…

Vous (outrée)
Mais, c’est nul ! Vous savez que c’est mauvais et vous ne dites rien ?

Votre agent infiltré (qui vous aime, mais vous regarde comme la dernière des demeurées)
On est là pour faire notre travail, on ne cherche pas plus loin – ce n’est pas notre film !


Mais, mais… mais si ! C’est votre film, à vous aussi !
Non ? Vous voulez juste faire des heures ? Ok, tant pis…


Alors merci, madame du train. Parce que faire du cinéma, ce n’est pas juste faire un boulot sympa, avec un salaire astronomique et une table-régie (ne faites pas comme si vous y étiez insensible !)
C’est avant tout l’envie de raconter une histoire, et de faire rêver les autres.

Donc, pour vous, madame, je continuerai d’essayer, encore un peu…

dimanche 6 juin 2010

Yes, I Cannes

Vous vous rappelez, quand vos amis vous ont demandé de faire leur film de mariage, et que, malgré votre fierté, vous aviez pensé que merde, vous auriez préféré qu’ils attendent que vous ayez une équipe et du matériel ?

Il se passe plus ou moins la même chose avec le Festival de Cannes. Le jour où vous gagnez un concours vous permettant d’y passer une semaine de folie, vous éprouvez une joie indicible, sans parler d’une espèce de sentiment de plénitude et d’accomplissement qui vous grise pour des mois. N’empêche que. Si vous aviez pu avoir une équipe derrière vous…

Une équipe de coiffeurs, habilleurs et maquilleurs, cela va sans dire.

Toujours est-il que non, je ne suis pas en train de fantasmer ; j’ai effectivement eu la chance de remporter un concours absolument fantastique, et de gagner une semaine, tous frais payés, à Cannes. Avec accréditation. Et l’attaque cardiaque qui va avec !

Si j’ai échoué à réaliser mon premier long-métrage avant mes vingt-cinq ans, comme Steven et beaucoup d’autres, j’aurais au moins eu l’occasion de monter les marches à vingt et un ans. Dans l’anonymat le plus total, c’est indéniable, mais alléluia, que diable !

Cannes, je ne savais pas trop quoi en penser, en fait. Beaucoup critiquent, mais tout le monde en rêve tout de même plus ou moins. Moi, j’en avais juste foulé le sol un après-midi d’été, pendant des vacances estivales ; j’avais symboliquement monté les marches, puis j’étais allée voir Jurassic Park 3 au cinéma du coin (on ne se refait pas, hein…).
Inutile de préciser qu’à ce moment là, hors festival, c’est… mort. Ce n’est, en tous cas, ni plus ni moins qu’une station balnéaire comme une autre. Et puis, grande comme un mouchoir de poche ! Sorti des quoi, cinq cent mètre de la Croisette, il n’y a vraiment rien. Difficile, donc, de concevoir ce qui s’y passe pendant le mois de mai… Et pourtant ! Si vous osiez, vous embrasseriez le sol.

On pourra dire ce que l’on voudra, et je vais peut être vous surprendre, mais le festival de Cannes, depuis que je l’ai vécu, je ne rêve que d’y retourner. Si, si.

Revenons à nos moutons.

Vous venez donc d’apprendre que vous étiez la lauréate d’un prix dépassant vos rêves les plus fous, et vous êtes plutôt hystérique, il faut le dire.
Vous ne savez pas vraiment à quoi vous attendre, mais bon nombre d’images pour le moins sympathiques défilent dans votre tête : vous sur les marches, vous bras-dessus bras-dessous avec Steven, vous en train de distribuer vos cartes de visite au Marché du Film (avec succès, s’entend), vous en train de profiter de l’open-bar sur un yacht (que voulez-vous. Vous êtes peut-être cinéphile, mais n’en restez pas moins un être humain).

En attendant la potentielle concrétisation de toute cette alléchante superficialité, vous courez à droite, à gauche – préparer le Festival de Cannes s’avère, comme chacun sait, plus difficile que de monter une expédition dans la jungle colombienne.
Une bonne nouvelle ne venant jamais seule, vous partirez en tous cas avec une amie, lauréate elle aussi – le concours que vous venez de remporter n’est en effet autre que celui du Prix de la Jeunesse : un gagnant par région de France, et vous représenterez fièrement la Normandie et la Bourgogne !

Ambiance colonie de vacances, donc, avec 50 autres jeunes tout aussi motivés que vous. Yeah !
Vous n’êtes pas au Carlton mais au Pierre & Vacances de La Bocca. Et alors ? Pour vous, c’est déjà du luxe : il y a une piscine.

Alors oui, Cannes, c’est beaucoup de superficialité. De riches. De paillettes. C’est aussi beaucoup de films interminables, pas très portés sur les effets spéciaux. Et c’est surtout du business, beaucoup de business, à s’en demander parfois si le cinéma est autre chose qu’une question de recettes et de box-office.
Et pourtant ! Cannes, c’est tout de même dix jours consacrés au cinéma, rien qu’au cinéma. Des séances non-stop, à toute heure, en présence des équipes. Et des hot-dogs sur la plage, mais bon, ça c’est une autre histoire.

Et mon Dieu, que c’est bon ! Vous avez votre accréditation autour du cou (y a pas à dire, côté look, tout est dans l’accrédit’), et passez la journée au cinéma. En sortant de certains films, vous tombez sur l’équipe… Pas le réalisateur mondialement reconnu et ses stars, non, juste un type normal qui a traversé la moitié de la planète et qui débarque avec son acteur principal. Ils sont tous timides, ne savent pas comment réagir à vos compliments et ça, ça vous touche, ça vous émeut, ça vous donne envie de continuer et bon sang ! Là, vous avez l’impression que ça pourrait être vous.

Et puis il y a l’ambiance…
Fait historique, vous débarquez le jour de la montée des marches de Star Wars, Episode III. A peine vos affaires déposées dans la chambre, vous foncez vous mêler à la foule agglutinée devant le Palais. Il est trop tôt, vous n’avez pas encore de ticket magique pour entrer dans ce lieu de culte, mais tout de même : vous y êtes. Comment le monde peut-il continuer à tourner alors qu’en ce moment précis, en un petit point du globe, George Lucas va monter les marches pour l’avant-première mondiale du film le plus attendu de l’année?
Il fait chaud, très chaud. Vous êtes entourée de gros beaufs et de locaux en tongs. Vous avez soif, sans compter les pulsions meurtrières. Vous vous êtes levée à 5h et avez passé 6h dans le train. Et vous puez, sans aucun doute.
Mais des haut-parleurs diffusent en boucle le bruit sourd de la respiration de Dark Vador, et ça change tout. Rhhhhh, shhhhh. L’ambiance est électrique, la fébrilité définitivement palpable. Rhhhhh, shhhhh. Les minutes s’écoulent, et un je-ne-sais-quoi dans l’air vous fait penser que wow, vous y êtes. Rhhhhh, shhhhh. Tiens, Natalie Portman a le crâne rasé. Rhhhhh, shhhhh. Incroyable mais vrai : ces petits points blancs sur les marches sont bien les membres de l’équipe de la saga la plus célèbre qui soit.
C’est bête, mais là, vous vous dites que la vie est belle.

Oh, certains riront forcément en lisant cela, et les plus frimeurs pourront trouver tout ça bien pathétique – après tout, vous n’assistez même pas à la projection. Mais c’est là toute la magie de Cannes : pas besoin d’être dans une salle obscure pour ressentir le cinéma – la ville frémit littéralement, elle suinte le cinéma ; vous pouvez le sentir à travers la moindre petite particule, c’est juste… dans l’air.
Ou alors je ferais bien de consulter. Faut voir.

Vous finirez tout de même par voir l’Episode III en question, lors d’une soirée pour le moins… épique. En cette glorieuse journée, vous avez en effet obtenu une magnifique invitation pour monter les marches, et assister à la projection du film en compétition. Bien entendu, c’est ce soir là que les éléments décident de se déchaîner, et de ruiner vos espoirs d’être plus ou moins présentable pour l’occasion. Bravant la tempête, vous atteignez tout de même le Palais des Festival et, au bras de vos amis, tout aussi hirsutes et dégoulinants que vous, vous réussissez à gravir les marches sans vous prendre les pieds dans a) le tapis b) la robe c) rien, mais vous trébuchez quand même, parce que c’est bien votre genre. Le plus drôle, c’est que les flashes crépitent – vous cherchez encore à comprendre quels sont les obscurs photographes qui ne trouvent rien de mieux à faire que de prendre de parfaits anonymes en photo. Toujours est-il que, ça y est, vous pénétrez dans le Saint des Saints.
(Une lumière divine transperce les nuages, vous auréole de lumière, et vous entendez le chœur de chérubins chanter « Alleluiah »).
Ah oui, quand même. C’est grand.
Vous êtes tellement heureuse d’être là que le fait de trouver le film projeté absolument nullissime ne gâche en rien votre plaisir. Vous prenez même l’équipe en photo après la séance, pour la forme. Bien entendu, vous ne pouviez pas savoir que vous veniez d’assister à la projection de la future Palme d’Or, et que vous êtes visiblement passée à côté…

A la sortie du Palais, vous piquez ensuite un sprint (façon de parler, vous avez des talons…) pour rejoindre le cinéma de quartier le plus proche, où vous avez acheté des billets pour la séance de minuit. Une vraie avant-première de gee…- euh, de fan. Et quelle journée de cinéma…

Et puis, comme toujours, de petits riens se chargent de vous rappeler, de temps à autre, que vous en êtes un, de petit rien.
Le dernier soir, vous montez les marches une dernière fois, pour assister au film de clôture. Cet acte est déjà un miracle en soi, car votre partenaire, qui était en charge du « sac à main pour deux », a eu la bonne idée d’oublier son badge… et le vôtre, bien entendu, à l’hôtel. Fort heureusement, un couple disons, fortuné, mais au demeurant fort sympathique, a eu pitié de vous devant le Palais, et vous a offert des invitations vous permettant d’entrer sans badge – le sésame absolu ! Comble du bonheur, vos places ne sont pas en balcon, mais bel et bien en orchestre, « là où ça se passe ».
Le hic, c’est que, une fois en haut des marches, les gentils monsieurs en costume refusent de vous laisser passer, et vous envoient au balcon. Vous étiez trop moches pour la fosse, en fait.
Et puis, il y a ce moment hilarant où un soir, en attendant un taxi, vous êtes assise sur une bordure de trottoir avec votre inénarrable partenaire (qui se reconnaîtra – Cannes n’aurait jamais été pareille sans elle !) Vous deviez vraiment ressembler à deux pauvresses, car un homme passe, vous regarde d’en haut… et offre une barre de céréales à votre amie. Merci, monsieur.

En même temps… Inutile de danser nue sur un bar tous les soirs, une bouteille de champagne à la main, pour ne dormir que deux heures par nuit et avoir tout d’un petit zombie – tout le monde sait qu’une semaine au Festival de Cannes est pire qu’un triathlon. Les séances commencent à huit heures, et vous enchaînez jusqu’au soir, où vous vous délectez de films de genre projetés à des heures tardives, entre amateurs. Ensuite, vous devez essayez de trouver un moyen de retourner dans votre banlieue – autant dire que vous n’êtes pas couchée.
Oh, bien entendu, vous pourriez participer à de folles soirées, comme tout le monde. Le fait est que vous avez essayé, mais étrangement, vous n’avez jamais réussi à entrer… !


Alors, Cannes… Ah, Cannes.
Que retenir de tout cela, finalement ?
C’est tout simple : que « L’Enfant » des frères Dardenne ne vaut pas un bon Star Wars, même mineur… (et, se drapant d’un geste démoniaque dans sa cape noire, elle part d’un rire sadique).

mardi 11 mai 2010

L'Ecole des Fans 2, ou la Prostitution Scénaristique.

J’annonce : faire une école de cinéma, c’est un peu comme se prostituer. Eh ouais.

Au risque de ruiner le suspense, je m’explique de suite. Enfin, avec le temps que ça va prendre… !

Comme vous pouvez l’imaginer, suivre des études d’audiovisuel est un pur bonheur et, j’en suis consciente, un privilège. J’ai encore en mémoire la rentrée des classes, en première année – j’étais aux anges, que dis-je, je ne me sentais plus de joie !
Petit exercice de visualisation… Vous êtes assis là, tremblant de peur et d’excitation, entouré d’inconnus dont la majorité a l’air infiniment plus à l’aise que vous. Bon, tout ne peut pas être toujours parfait ; le yin, le yang et compagnie font qu’une partie de la salle est constituée « d’artistes », vous savez, ces personnes qui ont la phrase « j’ai un look » écrite sur le front et qui ont fait que vous avez préféré éviter la section littéraire au lycée. Vous outrepassez toutefois votre sentiment d’effroi, grisé par les évènements.
Il faut signaler que vous êtes, tout de même, assis dans une salle de projection, face à un immense écran blanc – et ça, ce n’est pas en école de commerce que vous allez le trouver. Le directeur, qui sait s’y prendre, commencera d’ailleurs son discours par la phrase suivante : « Cet écran est blanc, à vous de le remplir ». Que d’émotions en perspective…
Vous sortez de là gonflé à bloc, la tête pleine de rêves. Vous avez trois ans d’études devant vous, autant dire l’éternité ; vous ne pensez pas encore à la suite et d’ailleurs, vous ne vous imaginez pas une seconde que ça pourrait être difficile. C’est bien simple, en fait : vous êtes le roi du monde.

Pour l’instant.

On dit que les Français sont mauvais dans pas mal de domaines (cinématographiques, j’entends. Quoique…) : les films de genre, les films d’action. Les comédies romantiques. Entre autres. Et encore, ne nous plaignons pas : personne ne s’est encore frotté au film de super héros (rire sadique).
Oh, bien sûr, il y aura toujours une exception pour confirmer la règle, et vous redonner foi en vos compatriotes. Mais on ne peut nier que, quand on essaye de faire aussi bien que d’autres… Hum. Je ne parle même pas de copier les Américains ! Les Anglais savent tout de même nous pondre des comédies géniales, des Richard Curtis, des Danny Boyle ; les Espagnols nous font des films fantastiques incroyables, et j’en passe ! Et tout ce beau monde ne nous arrive pas de l’autre côté d’un océan…

Or, ce à quoi on ne pense pas forcément, c’est que l’on nous formate, dès l’école, à pondre des films d’auteur. Non, je suis gentille, et puis il y a de très bons films d’auteur. Disons plutôt des drames psychologiques glauques et si possible, chiants à mourir. Ou nuls à chier. Peu importe le nom, mais pour sûr, il y a de la merde dedans.
Au-delà de ça, on va vous pénaliser si vous avez l’insolence de faire une comédie, de la science-fiction, ou, plus généralement, du divertissement. Et puis si vous pouviez éviter de mettre un début, un milieu et une fin dans votre scénario, peu importe l’ordre… tant qu’à faire. Soyez contemplatifs, un peu… avec une pointe d’expérimental, ce sera parfait.

J’ai probablement l’air aigrie, mais malheureusement, je peux vous assurer que c’est du vécu. Quoiqu’on vous en dise.

Inutile, donc, de se demander pourquoi les Français n’assurent pas pour ce qui est de faire rêver les foules.

Pour en revenir au point de départ, je ne vous cache pas qu’il vous est donc impératif de vous adapter, le moment venu. Si vous ne voulez pas vous faire assassiner par le jury des projections, briser votre moyenne et vous assurer le mépris de vos professeurs, vous allez devoir revoir votre plan de carrière.
Ce que j’appelle faire de la prostitution scénaristique.

Ce n’est pas chose aisée. On vous pousse à exorciser vos problèmes psychologiques profonds ; or, vous avez le malheur d’avoir eu une enfance très heureuse, et personne ne vous a violée, battu, humiliée. Vous ne connaissez pas d’autistes, de malades mentaux, de tueurs en série, et votre rapport au sexe est parfaitement sain. Vous aimez la vie, en plus. Bref, c’est mal barré. De quoi pourriez-vous bien parler ?

Vous essayez bien d’écrire des trucs sur un handicapé séropositif qui se fait violer par des animaux, d’où un problème relationnel avec son conjoint homosexuel – en plus, c’est un couple interracial. Mais rien à faire.

Ce qui vous rassurerait, c’est que vos petits condisciples souffrent des mêmes affres créatives que vous. Loin de là…


Je pensais que tout le monde était comme moi : biberonné au cinéma qui fait rêver, désireux de se prendre pour Spielberg, rêvant d’effets spéciaux, d’extra-terrestres, de gros tournages, de sang et de rires.
En même temps, au cas où vous ne l’auriez pas encore compris, j’étais un peu naïve.

Il se trouve que, au cours de votre cursus, vous réaliserez assez vite qu’une bonne partie des élèves est composée soit d’innommables hypocrites, soit de gosses de riches… soit de personnes ayant réellement un problème.

Il se trouve également que votre promotion ne fait pas exception à la règle. Elle est même dé-li-ci-eu-se, dans son genre. Et délicieusement cliché.

Nous avons donc, au garde à vous, toute une troupe de joyeux saltimbanques prêts à révolutionner le cinéma…
Il y a tout d’abord, bien entendu, le beau gosse qui n’a rien à dire ; mais ce n’est pas grave, Papa est plus ou moins célèbre et le cinéma, c’est cool. Ce petit veinard sera d’ailleurs le seul à se dégoter un directeur de mémoire qui soit un VRAI réalisateur ayant fait un VRAI film -un truc sorti en salles ! Merci, Papa.
Vient ensuite le Black à l’américaine - votre mascotte, le Will Smith, le mec le plus cool de l’école, et sans doute du monde. Il est drôle, il est talentueux, et tout le monde l’adore, y compris vous. Pendant que vous vous morfondez le soir sur votre canapé, il réalise désormais des clips de rap aux Etats-Unis, et vous vous dites que putain, vous auriez du vous mettre au hip hop, vous aussi.
Mon Dieu, pour un peu, on croirait que j’ai étudié à l’UCLA – rassurez-vous, je vous ai présentés les deux seuls phénomènes plus ou moins exotiques. Le reste est on ne peut plus français...
Votre petite bande compte donc un nécrophile de compétition – soit dit en passant, vous l’appréciez beaucoup. Toutefois, vous ne pouvez nier que ses créations sont à mille lieux de faire rêver, et que son film de fin d’études tend sérieusement vers la pédophilie. Combinée à la nécrophilie, attention. C’est plus sympa, quoi.
Dans la même collection « joie et amour », nous avons également le dépressif à tendance gothique, prêt à disserter pendant de longues heures sur des thèmes joviaux et entraînants tels la douleur. Il est plutôt silencieux, pour ne pas dire qu’il est quasiment invisible, et vous le soupçonnez secrètement de sacrifier des poulets dans un donjon, le soir.
Toutefois, là où certains sont discrets, d’autres ont besoin de s’exprimer plus bruyamment. Ces petits génies s’estiment être des réalisateurs accomplis, avec un « univers », des choses à dire, j’en passe et des meilleures. Des mecs prêts à outrepasser les règles du jeu pour assouvir leur soif de reconnaissance, prêts à acheter une pellicule supplémentaire en douce pour réaliser leur chef d’œuvre. Ha, ha ! Sur le coup, vous les avez haïs, ces prétentieux. Vous aussi, vous vouliez que le prof’ d’histoire de l’art se branle sur votre jambe. Au final, vous ne vous rappeliez plus de leur nom il y a encore deux jours…

Je pourrais encore disserter un peu sur le rebelle tendance anarchiste ou le provocateur à la Gaspar Noé, mais vous en arriveriez à penser qu’aucune fille n’ose se frotter à ce noble métier. Que nenni ; je gardais simplement le meilleur pour la fin.
Les filles ne sont certes pas majoritaires, et c’est sans doute la raison pour laquelle elles tiennent à marquer les esprits. Il va sans dire que leur travail vous touche tellement…

Non, sérieusement : vous ne m’avez pas crue, hein ? Parce que moi, le clitoris des autres, je n’en ai pas grand chose à faire, en fait.
Je vous présente donc notre candidate numéro un, la vieille fille coincée. Oh, elle n’est pas vieille du tout, mais je ne trouve pas de meilleur terme. Elle a besoin d’exprimer son rapport chaotique au sexe, d’explorer son corps à l’écran et de comprendre pourquoi, bon sang, elle n’arrive pas à jouir. Son film de fin d’études implique bien sûr une jeune femme nue face à un miroir et vous, vous vous demandez ce que, franchement, vous foutez là. Vous avez pour règle d’or de ne jamais sortir avant la fin d’un film, et de ne jamais vous endormir. Là, elle a fait fort, parce que vous piquez du nez pendant un court-métrage, et que vous aimeriez partir en courant.
Face à cette créature prude, diaphane et enfouie sous de longs gilets et autres lunettes à écaille (c’est, en tous cas, la triste image qu’elle vous renvoie) se dresse la candidate numéro deux. Son parfait opposé. La fille que les trois-quarts des techniciens de l’école rêvent de côtoyer dans l’obscurité d’une salle de montage. Elle est boooonne, elle est bronzée, toute fashion et surtout, surtout, dotée de la plus grosse paire de seins de la section réa. Vous la voyez comme une mante-religieuse, prête à tout (brrrr). Elle est suffisamment culottée, en tous cas, pour oser plagier une scène cultissime de Godard dans son film. Pour vous – et pour la moitié de l’école, cela revient plus ou moins à, passez moi l’expression, laper les couilles du jury. C’est tellement énorme, tellement hypocrite, que vous ne pensez pas une seconde que qui que ce soit puisse tomber dans le piège. Perdu. C’est à vous arracher les cheveux.

En même temps, je suis probablement, moi-même, un autre cliché, sans compter que je ne fais sans doute pas mieux qu’eux. On me catégoriserait, j’en suis sûre, les doigts dans le nez. Grosse geekette. Pauvre copie de Dawson (en plus, je l’ai toujours détesté, ce naze. Dire que lui aussi, il avait l’affiche du Monde Perdu dans sa chambre… arg !) Entre autres.


Alors, prêts à raquer plus de six mille euros par an pour vous faire des amis ?


Que vous le croyiez ou non, je respecte le travail de chacun. Mais je ne cache pas que tout ce cinéma me fera toujours mourir de rire…

En attendant, une chose est sûre : je continuerai à me prostituer s’il le faut !

samedi 1 mai 2010

Et ils vécurent heureux, et eurent beaucoup de DVD

Depuis que vous avez neuf ans, tout le monde sait que votre passion, c'est le cinéma, et que vous comptez bien en faire votre métier.

Attention, digression.

Dimanche après-midi. Vous avez neuf ans ; vous êtes attablée chez vos grands-parents, le bouton de votre jean gît sur le sol à trois mètres de là. La conversation se porte sur le cinéma, et la critique avertie que vous êtes déclare que vous avez très, très envie de voir le film avec des dinosaures qui vient de sortir - parce que, tout de même, le Journal de Mickey a fait tout un dossier dessus, et a dit que c'était super.
Les adultes sont intéressés aussi (le dernier Spielberg, ce n'est pas rien), et, ni une ni deux, votre grand-mère va chercher le journal pour jeter un œil aux horaires des séances. Le film est dans moins d'une heure, il va falloir se dépêcher, mais votre famille décide de tenter le coup.

Vous vous rappelez être assise au sous-sol, en train d'enfiler vos chaussures, surexcitée à l'idée d'y aller ; vous collectionnez les images Panini sur les dinosaures et vous voulez, alors, être paléontologue : ce film est fait pour vous. Ajoutons à cela que toute la cour de récré en parle (il y a des gens qui se font manger dedans!) et que vous allez échapper à la sacro-sainte promenade dominicale autour du lac : c'est décidément la fête.

Vous voilà partie, accompagnée de votre sœur, de votre mère et de votre grand-père; vous arrivez en retard au cinéma, bien entendu, et vous retrouvez donc placés tous les quatre au premier rang, dans la grande salle. Heureusement, le film n'a pas encore commencé.

« Qu’est-ce qu’il y a là-dedans, King-Kong ? »

Autant être franche : m'a mère m'a caché les yeux pendant les scènes trop sanglantes, et je les ai fermés toute seule, tant j'étais morte de peur, pendant la séquence de la cuisine. Mais cela n'a gâché en rien l'effet que le film a produit sur moi - c'était incroyable, c'était prodigieux, c'était fantastique, et oh mon Dieu, j'aimais le cinéma.
Je voulais faire du cinéma.
Je veux faire du cinéma.

Donc.


Tout le monde vous soutient dans cette démarche insensée... même après le collège. Vous êtes, dans l’esprit de vos proches, le cinéaste de la bande. Pour le meilleur, et pour le pire... Cela dépend de quel point de vue on se place !

Et, depuis le début, vous faites des promesses sincères à vos amis, à votre famille, au fils de la coiffeuse. Oui, ils participeront à vos films ; bien entendu, vous nommerez les filles directrices de casting, afin qu'elles puissent rencontrer leurs idoles. Vous foulerez les tapis rouges ensemble et révolutionnerez le cinéma avec les passionnés. Et vous offrirez une voiture incroyable à votre père (avec un gros nœud rouge dessus, cela va de soi).

Tous ces fantasmes sont relativement innocents ; la plupart de vos proches ne pensent probablement même pas que vous y arriverez, et aiment simplement rêver avec vous. Pour autant, vous êtes sincère quand vous évoquez tout cela, et vous vous feriez une joie de partager le bonheur d'un tournage avec ceux que vous appréciez, ou simplement de donner un coup de pouce à quelqu'un de méritant.

Mais... il y a un mais. Une autre promesse.

Vous avez toujours promis à vos amis, depuis le collège, que vous réaliseriez leur film de mariage. Et cela vous paraissait tellement, tellement loin. Le mariage. Ha, ha, ha!
Vous n'êtes pas très portée sur la chose, et, de nature plutôt immature, cela vous paraît toujours aussi improbable qu'à l'époque du collège.

Alors, quand certains de vos meilleurs amis vous annoncent qu'ils vont se marier, que vous avez l'insigne honneur d'être témoin, et, last but not least, que la réussite d'un film de mariage grandiose vous incombe, une petite lumière rouge s'allume dans un coin de votre cerveau.

BIP ! BIP ! BIP ! ALERTE ROUGE !



Tu parles. « Je suis extrêmement touchée, vraiment, je… je ne sais pas quoi dire… C’est un grand honneur… »


Ce n'est pas que vous doutiez de vos capacités, non ; vous êtes sincèrement flattée, en plus. Ce serait plutôt que, à l'époque où vous vous êtes engagée, il y a des années de cela, vous imaginiez que vous aviez largement le temps. D'ici à ce que vos amis se marient, vous seriez réalisatrice, vous auriez une équipe et surtout, surtout, du matériel. Du bon matériel.

Voici donc à quoi vous vous exposez, à clamer depuis toujours que vous êtes la reine de la caméra. C'est malin…

Toutefois, vous prenez cela comme un défi : vous aimez vos amis et vous voulez leur offrir ce cadeau! Hop, vous empruntez donc des caméras à droite à gauche (c'est à dire aux autres invités. Des caméras mini-DV. Vous n'empruntez pas de caméras professionnelles à des boîtes de production, voyons!), vous essayez de réfléchir à un angle d'attaque, vous pensez cadre, son, c'est bien simple, vous êtes au taquet.

Oh, bien entendu, tout ne se passe pas sans couacs : personne n'a l'idée de vous prévenir quand la pièce-montée géante va faire son entrée. La moitié des gens que vous comptiez interviewer pour les mariés parvient à vous esquiver et à se faire la malle avant d'avoir été immortalisée sur la bande. Bande de traîtres.

Le plus grand moment, c'est quand votre associé quitte la cérémonie en mairie un peu avant tout le monde, pour aller se préparer à la sortie des mariés (oui, rappelez-vous, vous êtes témoin, vous ne pouvez pas bouger, là). Le cadre est posé, ça va être le clou du film. Vous voyez de quoi je parle : radieux, les mariés sortent sous une pluie de riz, les parents pleurent, tout le monde est heureux et en plus, il fait beau. Pour un peu, on se croirait dans un film avec Jennifer Lopez.

Tout se passe comme prévu, et vous êtes déjà en train de chercher sur quelle musique vous allez monter cela. Votre partenaire filme, fait des cadrages de folie, n'hésite pas à s'agenouiller et à courir partout pour saisir toute l'émotion de l’instant. Un grand moment, quoi.
Dommage qu'il ait oublié d'enregistrer.

Quoiqu'il en soit, je vous conseille de vous charger du film de mariage. Votre position de cinéaste vous sauvera en effet la vie plus d'une fois - ça, je peux vous le garantir. Parce que, quand arrive le moment du "jeu où l'on doit enrouler sa moitié dans du papier toilette", vous êtes bien contente de décliner en disant que ah, non, merci, vous ne pouvez pas, vous filmez, là.
L'excuse (qui n'en est qu'à moitié une, finalement) peut également s'avérer remarquable au moment du bal. Vous ne serez pas obligée de danser avec des vieux oncles lubriques à moitié ivres, ou d'essayer de comprendre pour la vingt-cinquième fois les pas du Madison (brrr). Ou juste de danser tout court, en fait.

Ensuite, quand vous aurez survécu au marathon, il vous restera simplement à monter les dix cassettes. D’une heure chacune.
C’est là tout l’avantage d’être au chômage, mine de rien : vous avez l’occasion de passer des semaines sur votre canapé, penchée sur votre ordinateur - qui, étrangement, vous crache au visage avec un bel écran bleu neuf fois sur dix, quand vous lancez le logiciel de montage…

Vous aurez le dos en compote et les yeux semblables à ceux d’un lapin myxomatosé, c’est indéniable, mais vous serez tellement fiers.

En revanche, un dernier conseil pour la route : même si vous voulez faire au mieux, même si les raccords sont impossibles et que vous voulez camoufler vos boulettes… évitez d’y passer des mois. Parce que, venu le moment de la distribution des DVD, vos amis risquent d’annoncer un heureux évènement à venir et là, votre labeur acharné passera totalement inaperçu.

Comme si un bébé valait plus qu’un film – dans quel monde on vit, tout de même !

samedi 24 avril 2010

Wonderland.

Attention, référence.
Quand « Armageddon » est sorti, il y a plus de dix ans, je me rappelle avoir lu une interview de Michael Bay (je vous avais prévenu, je cite du lourd…) ; il y expliquait que, pour préparer son film, il avait été chaleureusement invité à la NASA, où il avait pu avoir accès à des endroits que nous ne voyons justement qu’au cinéma – pauvres mortels que nous sommes.

J’avais trouvé ça fantastique (l’invitation – pas Michael Bay). Toutes ces choses incroyables que nous aimerions connaître ou essayer un jour et dont les portes s’ouvrent soudain à vous… Un acteur a peut-être la chance de connaître mille vies, mais celui qui créé a quant à lui l’opportunité de rencontrer des gens, d’apprendre des métiers, d’être invité dans des existences auxquelles il n’aurait jamais pu prétendre. Et ça, ça m’a toujours fait rêver – c’est un des plus beaux aspects du travail de créateur !

Niais, mais vrai.

Il se trouve que le chemin vers les salles obscures n’est pas que parsemé de catastrophes et de crétins. En fait, il y a même parfois de grands moments de magie, qui achèvent de vous persuader que putain ! Vous aimez ça. Et que toutes vos emmerdes valaient le coup.

Ah, oui. Vous ne pensiez quand même pas que je n’allais écrire que des méchancetés ?


L’entertainment commence dès votre première année d’école ; en l’espace de quelques mois et dans le cadre d’exercices, vous faites un tour de piste en jet privé, vous partagez le quotidien des coulisses d’une réserve africaine, et vous assistez au doublage d’un film et d’un manga. Vous rencontrez la voix française la plus célèbre qui soit, celle qui a bercé votre enfance, et vous êtes tellement ému en lui faisant la bise que vous en oubliez le principal : maintenant encore, vous vous en voulez de ne pas lui avoir fait enregistrer un message pour votre répondeur !

La vérité, c’est que les gens sont toujours prêts à se plier en quatre, que dis-je, en mille, quand il s’agit de donner un coup de main pour le cinéma. Parce que Dieu merci, dans l’esprit collectif, le cinéma c’est toujours grand, c’est toujours incroyable, et tout le monde adore l’idée de faire partie de l’aventure, ne serait-ce qu’un tout petit peu. Alors hop, ça continue, vous allez accompagner un berger dans le fin fond de la Provence, vous faites des interviews à l’ambassade du Japon, et vous allez même faire un petit tour à Fleury-Mérogis (bon, oui, indubitablement, là c’est quelque chose de relativement accessible à tous. Mais étrangement, je n’avais pas envie de passer par la case prison sans toucher mes deux mille francs, et de me faire violer dans les douches).

Et puis, même à un niveau plus humble, travailler dans l’audiovisuel vous permet tout de même de vous amuser un peu, beaucoup. Vous parvenez à assister à des trucs marrants, à réaliser des rêves d’adolescentes pré pubères idiots ; par exemple, être stagiaire régie sur cette émission musicale que vous adoriez quand vous aviez douze ans et que vous dormiez avec des photos de boys band sous votre oreiller. Le plateau est en fait minuscule, les stars pourrissent leurs loges et vous n’en pensez pas moins, et les animateurs de votre enfance vous parlent comme si vous alliez accepter de leur faire des trucs humides dans les placards. Mais ce n’est pas grave, parce qu’au fond de vous, vous vous éclatez (et n’oublions pas que la régie, c’est plein de bouffe gratuite, hin hin).

Vous harcelez cette actrice qui vous a toujours fait mourir de rire au téléphone, parce qu’elle a des trucs à signer pour son contrat, et vous essayez de rester stoïque quand ce journaliste, qui vous a toujours fait penser à un gentil papa très sérieux, vous fait la bise et vous parle comme s’il vous connaissait depuis dix ans. Parce que vous, bien sûr, vous alliez timidement lui serrer la main. Toutefois, puisque vous parliez chaussures depuis dix minutes avec sa co-animatrice, vous ne vous en sortez pas trop mal – vous êtes plus ou moins blasé, voyez-vous.

La co-animatrice en question qui, d’ailleurs, une heure auparavant, est arrivée en retard sur le plateau, en ayant bien sûr oublié toutes les tenues chez elle. On vous a donc commandé un taxi (ah, les hôtesses d’accueil des chaînes télévisées. Vous les aimez bien, parce que ce doivent être les seules personnes qui sont en bas de l’échelle à vos côtés. Et, en plus, elles doivent vous obéir !) ; l’animatrice, pour le moins confiante et décomplexée, s’est empressée de vous donner son adresse et les clés de son appartement. Et hop ! Vous voilà partie pour les quartiers chics. Vous réussissez à entrer sans encombre, vous papouillez un peu son chienchien, et vous résistez DE TOUTES VOS FORCES à la tentation de fouiller, ou même juste de visiter l’intégralité des lieux. Vous vous contentez d’attraper les robes, de jeter un coup d’œil, et vous repartez au pas de course. Vous courrez dans la rue, des cintres et des paillettes plein les bras, vous avez l’impression de jouer dans un film, et bien entendu, la robe qui sera finalement portée par votre nouvelle meilleure amie est celle qui s’est lamentablement écrasée sur le trottoir – ni vu, ni connu. De toutes façons, elle pourrait toujours râler, vous, vous êtes déjà partie, en quête de sa médecine intime dans la pharmacie la plus proche.

Et puis, parfois, ça arrive – statistiquement, ça ne pouvait qu’arriver : vous vous prenez la honte. Une bonne grosse honte, pas du genre humiliation, non, plutôt du style « j’ai des facultés mentales limitées mais regardez, je vous fais un gros sourire ». Comme la fois où ce type, que vous croisez régulièrement dans les bureaux, vient offrir un livre flambant neuf à votre patronne. Un livre, pfuit, un pavé en vérité, une véritable brique de papier glacé. Vous le prenez et sortez fièrement cette superbe blague : « Wouahou ! C’est de la culture qui muscle ! »
Si, si. Vous l’avez fait. Je l’ai fait. Oups.
Comment étais-je censée savoir que le monsieur en question était un très, très célèbre photographe ? Et que ce livre, qu’il venait de signer, n’était autre qu’un retour sur sa longue et glorieuse carrière ? De plus en plus mortifiée au fur et à mesure que vous tournez les pages et que vous découvrez des portraits incroyables de légendes internationales, vous vous dites que mouais, si vous comptiez parler culture avec l’artiste la prochaine fois, c’est râpé.


Vivement que vous ayez votre Oscar : vous aurez l’air moins con !

mercredi 21 avril 2010

On s’fait un dèj’ ?

Quand vous travaillez dans l’audiovisuel, vous ne pouvez pas vous empêcher, assez rapidement, de cataloguer les gens. C’est maaaaal, je sais ! Mais essayez donc de passer une semaine dans une chaîne de télé, et on verra si vous ne vous y mettez pas aussi.

C’est assez facile ; tout d’abord, on distingue deux grandes parties : ceux qui sont à la technique, et ceux qui sont dans les bureaux (production, rédaction…). A partir là, vous pouvez vous amuser à établir vos petites statistiques, du type « les trois-quarts des mecs qui ne sont pas techniciens sont gays », ou « il n’y a pas beaucoup de filles à la technique, et la moitié d’entre elles sont lesbiennes ».
C’est absolument stupide, mais, en même temps… C’est pas faux.

Et puis il y a ce profil, auquel vous aurez toujours à vous confronter, surtout si vous débutez… Ce profil qu’il est si tentant de catégoriser – il faut dire qu’avec ce poste, c’est un peu « l’attaque des clones ».

L’assistante de production !

Force est de constater qu’il existe peu d’assistantes de production qui soient moches. En règle générale, elles sont même carrément, euh, bonnes. Si je puis dire.
La discrimination à l’embauche pour les personnes de couleur ? Inconcevable dans l’audiovisuel (personne n’est raciste, et ceux qui le sont ne le sont pas, pour faire genre. Of course). Par contre, le racisme contre les moches (le mochisme ?), ah ! Je suis sûre qu’on pourrait y consacrer un reportage (mais que fait Bernard de la Villardière ?)
Peut-être que je me trompe, mais c’est quand même une coïncidence formidable, que tout le monde soit jeune et beau, dans cette branche.
Bien entendu, le fait que vous vous fassiez embaucher flatte votre côté superficiel. Inutile de nier.
Toujours est-il que, malgré cela, vous avez l’impression d’être un bon boudin quand vous traversez les couloirs. Entres les animatrices et les assistantes, même si vous n’êtes pas coquette, vous ne pouvez vous empêcher de penser que vous n’avez aucune chance avec ce mignon petit monteur, là.
Vous n’êtes même pas vêtue d’une tunique, d’un legging et de bottes à la mode. Ah bravo, bel effort d’intégration, hein !

De même, vous doutez qu’une assistante vienne d’ailleurs que de Paris – ou de la banlieue, tendance « Tout ce qui brille »… En fait, quand vous dites que vous êtes provinciale, elles ne peuvent s’empêcher de réprimer un frisson d’angoisse, et l’on vous tapote gentiment le dos en vous demandant si ça va aller.

Comme beaucoup de jolies filles, les assistantes de production ont une grosse tendance à la poufferie (n.f. : fait d’être une pouffe). Voire à la méchanceté – mais c’est bien connu, entre elles, les filles sont des pestes. Fort heureusement, il en existe aussi de très gentilles – sinon, vous ne tiendriez jamais le coup, même en vous planquant dans les salles de montage ou sur les plateaux la moitié de la journée.

De toutes façons, gentilles ou pas, c’est du pareil au même : l’assistante de production est la meilleure amie de tout le monde. Best Friend Forever ! Elle vous adoooore, allez hop, vas-y que je te claque la bise même si je sais à peine comment tu t’appelles et que je trouve que ton t-shirt est carrément OUT.

Etre assistante de production, c’est aussi une philosophie de vie ; c’est toucher le SMIC mais ne jurer que par Paul & Joe ou Comptoirs des Cotonniers (minimum, attention ! Promod, vous oubliez. Han... trop la honte).
C’est économiser un mois de nourriture pour se payer un jean à deux cents euros (par contre, c’est sûr, il vous fait un sacré cul).
C’est ne jurer que par les sushis le midi (mais pas plus de quatre ! Ah, je crois que je viens de comprendre d’où vient l’argent économisé pour le jean…)
C’est passer ses soirées au Palais de Tokyo, ze place to be.
C’est parler comme un skyblog : « On va dèèèèj’ ? » (mon préféré : « Va acheter des ‘dwichs pour les tech’ »)…


J’ai trop surkiffé de côtoyer ces girls, tu vois. Muah-muah.


(Oh, qui aime bien châtie bien, comme on dit. Les filles supers se reconnaîtront!)