samedi 27 mars 2010

Le Rendez-Vous au Pôle Emploi

Comme tout bon loser, vous avez rendez-vous, une fois par mois, avec votre conseillère Pôle Emploi. Un épisode suffisamment épique pour mériter d’être raconté – comme tout rendez-vous administratif qui se respecte.

C’est une vérité universellement reconnue qu’au Pôle Emploi, vous ne trouverez jamais exactement ce que vous voulez. Eh bien, c’est pareil au Pôle Emploi Spectacle.
Sans compter qu’il ne sert foncièrement à rien, puisque dans notre beau métier, tout marche au piston. Vous êtes tout de même inscrit, pour la forme, mais également parce qu’on ne sait jamais. Et puis, il est toujours amusant de lire les offres d’emploi : ça fait rire et le rire, c’est bon pour la santé, non ?
Car je puis vous assurer qu’il y a de quoi rire ! Entre les offres sous le titre « figuration » où d’obscurs restaurants de banlieues cherchent quelqu’un pour jouer le Père Noël, et les offres qui semblent parfaites pour vous, si ce n’est qu’il faut être bilingue en Chinois et en Arabe, vous n’êtes pas sorti de l’auberge.

Votre conseillère Pôle Emploi est adorable et très compréhensive, ce qui est une bonne chose : après tout, vous auriez pu tomber sur une vieille harpie, déterminée à vous faire travailler à tout prix comme dame-pipi (mais dans un théâtre, hein, parce que nous sommes au Pôle Emploi Spectacle…)
En revanche, elle souffre d’un léger excès d’enthousiasme. Pour elle, donner des cours particuliers est quelque chose de tout à fait fantastique – vous êtes professeur à domicile depuis que vous la connaissez, et de ce fait, elle vous a toujours considéré comme un gagnant. Vous n’êtes pas au fond du trou car vous passez une heure et demie, chaque semaine, avec un élève. Hmmm. Cette conseillère a visiblement hérité, parce que selon vos calculs, le salaire d’un mois de cours revient à un huitième de votre loyer.
Vous trouvez régulièrement de petits CDD et travaillez à droite à gauche, autant que faire se peut, pour gagner un peu d’argent. Surtout, ne lui dites pas ! Non seulement elle risque de se faire pipi dessus, mais surtout, vous courez le risque d’être relégué en bas de sa liste des priorités, car considéré comme quelqu’un qui s’en sort tout seul.
Il faut dire qu’elle doit croiser de sacrés énergumènes, mais également de sacrés branleurs, et, qui-sait, vous êtes peut-être le rayon de soleil de sa journée.

Vous l’aimez bien, cette dame, mais il est vrai que parfois, vous avez envie de la secouer en lui disant de quitter le pays des gentils Bisounours.

Ce qui est sympa avec le Pôle Emploi Spectacle, c’est qu’ils voient tellement de monde qu’ils ne se rappellent jamais de vous. Enfin, ne soyons pas injustes : votre petit Bisounours se rappelle de vous, bien entendu, mais vous persistez à lui répéter, à chaque fois, les mêmes choses, qu’elle persiste à oublier.
Chaque mois, elle vous annonce avec joie qu’elle a reçu une offre de (tadaaaa !) secrétaire de production.
Ouais. Secrétaire, quoi.
Secrétaire, oui, mais dans une boîte de production !
Comment lui faire comprendre, gentiment, que, hormis le fait que vous n’êtes pas diplômée en secrétariat, ceci n’a absolument rien à voir avec l’audiovisuel ? Vous essayez de faire passer le message avec une petite note humoristique, en lui expliquant que vos parents seraient un peu déçus en apprenant que, après avoir payé (cher) une école pendant trois ans, ainsi qu’un master, leur petit Tim Burton répond au téléphone et s’occupe du courrier sans aller plus loin que le hall d’une société de production… Devant son indéfectible enthousiasme, ce n’est pas chose aisée.

Pour vous faire un peu d’argent de poche, vous pouvez également tenter la figuration. Mais, là encore, les voies du Pôle Emploi sont impénétrables…
Histoire vécue : vous tombez sur une petite annonce pour de la figuration dans un téléfilm. Profil recherché : des personnes, hommes ou femmes, dans vôtre tranche d’âge, avec beaucoup de cheveux, pour jouer des séminaristes. Pourquoi pas ? Vous possédez toutes les caractéristiques requises, et, a priori, un physique lambda. Vous tentez donc le coup. Votre courrier revient, deux semaines plus tard, accompagné de ce message du Pôle Emploi : « Nous sommes navrés, nous aurions du préciser dans l’annonce que nous recherchions des personnes pour jouer des séminaristes, au sens premier du terme, à savoir des gens d’église, et non pas des personnes allant à un séminaire ». Euh. Vous êtes tentés de dire, « et alors ? » Vous vous êtes contenté d’envoyer vos photos et vos mensurations…
Cette anecdote confirme ce que nous savions déjà tous : au Pôle Emploi, ils ne pensent pas comme nous. Ils parlent français et sont dotés d’un cerveau, comme leurs frères humanoïdes, mais possèdent une logique qui leur est propre. Ils m’évoquent Monsieur à l’Envers, dans la série de petits livres des « Monsieur, Madame ».

En fait, le principal problème des conseillers du Pôle Emploi Spectacle, c’est qu’ils sont absolument identiques aux conseillers du Pôle Emploi « normal ». Ils ne semblent, en effet, avoir aucune expérience du milieu de l’audiovisuel. Peut-être devriez-vous, vous-même, postuler pour être conseiller-bisounours ; vous en sauriez sûrement plus qu’eux.
Non, vous en savez plus. C’est une certitude !

lundi 15 mars 2010

L’Ecole des Fans (1)

Vous avez votre bac et ça y est, c’est sûr, c’est décidé, vous voulez suivre des études de cinéma.
Vous avez la chance d’avoir des parents qui croient en vous et qui, ne doutant pas une seconde de votre futur glorieux et de vos capacités de mini-Spielberg, sont prêts à vous payer une école.
Une école de cinéma. Pour vous, petit provincial, ce mot sonne presque comme « Hollywood ». Vos amis vont aller à l’université du coin, et vous, vous allez à Paris, faire du cinéma. C’est comme si vous étiez déjà dans le métier. Vous êtes sur un petit nuage !

Appâté par une belle brochure sur papier glacé, remplies de photos absolument extraordinaires (un jeune derrière une caméra ; un jeune devant une vieille table de montage ; un jeune à la cafétéria) et de mots clés qui vous laissent rêveur, tels « plateau » et « tournages », vous vous inscrivez au concours.


Le concours

Les yeux plein d’étoiles et la peur au ventre, vous arrivez à Paris ; si vous avez de la chance, un ami sera là pour vous guider au long de votre périple à travers l’Ile de France. Car atteindre l’Ecole n’est pas chose aisée pour le petit Padawan du métro que vous êtes – cela nécessite une, puis deux lignes de métro. Qui aboutissent à une ligne de RER. Qui, après une quarantaine de minutes en rase-campagne, vous dépose au milieu de nulle part (pour vous, il s’agit toujours de Paris). Vous embarquez alors pour un quart d’heure de bus et hop ! Vous y êtes. Rien de plus simple…
Bien entendu, vous vous êtes laissé transporter, fasciné que vous étiez (« Incroyable, les gens dorment dans les transports en commun ! ») ; en votre for intérieur, vous savez que vous n’arriverez jamais à rentrer tout seul. Mais ce n’est pas grave ; enthousiaste et le cœur léger, vous pénétrez dans votre nouveau lieu de culte.

Les épreuves du concours vous paraissent plutôt simples ; culture générale, rédaction d’une note de synthèse, les heures passent et vous êtes rassuré : on ne vous demande pas de définir le mot « diégèse » (vous aviez potassé dans le train, au cas où) ou de parler d’Ingmar Bergman.
Votre confiance en vous s’effrite quand un méchant monsieur vient vous sermonner, pendant une épreuve, devant toute la salle. Vous qui étiez là incognito, c’est râpé. Vous êtes tellement surpris que vous mettez un certain temps à comprendre ce que l’on vous reproche : vous avez péché, vous êtes un criminel, car vous osez venir passer un concours sans avoir jamais mis les pieds à l’école pour la visiter au préalable.
Ah bon. On ne peut pas faire les deux en même temps alors ?

Un peu ébranlé par votre mésaventure (vous êtes quelqu’un de timide, n’oublions pas que vous voulez être derrière la caméra), vous vous dirigez ensuite vers votre dernière épreuve : l’analyse filmique. Comme dans toutes les quêtes et autres aventures, cette épreuve clôturera la journée avec un affrontement contre Le Boss.
Le Boss en question, il y en a deux, en fait. Vous n’avez pas la plus petite idée de qui il peut bien s’agir. Mais une chose est sûre, ils sont terrifiants !
Bien entendu, vous vous êtes perdu, et arrivez dans la salle alors que la porte est déjà fermée. Ce qui vous vaut le deuxième sermon de la journée. Merde. Vos dernières traces de confiance en vous disparaissent, emportées par la fumée qui sort des oreilles de ces deux messieurs.
Vous courez vous asseoir à la dernière place disponible, au fond de la salle (alleluiah) !

La salle ne compte pas plus de vingt personnes, et vous avez en face de vous deux grands écrans de télévision. Plus de doutes possibles, vous allez devoir participer. Oralement.
Vous ne vous inquiétez pas plus que ça, parce que le cinéma, c’est toute votre vie, et que vous maîtrisez le sujet. Enfin, c’est ce que vous pensez. Parce que là, on vous balance un extrait de « A bout de souffle », de Godard.
Au secours, Saint Spielberg, vient m’aider !
Pourquoi un film datant d’avant votre naissance ? D’avant la couleur ? Qui plus est, un film français ! Ce qui est bien, c’est que la moitié de la salle a l’air aussi ravie que vous.
Cependant, tout le monde trouve quelque chose à dire, et vous vous rendez-compte, avec horreur, que vous allez être la seule à ne pas avoir ouvert la bouche. Vous, et la personne aux cheveux bleus fort sympathique assise à vos côtés. Dieu soit loué, l’union fait la force. Dans un regain de courage, vous trouvez quelque chose à dire – les deux « Boss de fin » vous écoutent attentivement, et ne semblent pas vous prendre pour une demeurée totale, c’est bon signe.

L’atmosphère se détend quand l’un des Boss décide de tester les connaissances de l’assemblée sur le sieur Godard. A la question « est-il vivant ? », nous répondons unanimement qu’il est mort. Perdu, il a même récemment présenté un film à Cannes ! Qu’est-ce que c’est bon de se dire que l’on est entouré d’êtres humains.
Ne crions pas victoire trop vite, car vous êtes sur le point de faire votre première expérience du lèche-bottes international. Quoique : peut-être est-ce simplement un passionné, comme vous, à la différence près qu’il a eu la chance d’avoir pu visionner des films de la Nouvelle Vague à la place des Walt Disney dans sa tendre enfance… Je vous laisse en juger.
Les deux professeurs (car c’en est, et pas des moindres, comme vous le découvrirez au cours de votre scolarité) décident de se la jouer vicelards, et, avec un sourire en coin, après un petit cours sur Godard (son prénom c’est Jean-Luc, alors?) demandent si quelqu’un connaît le nom du célèbre cadreur de ce dernier. Vous étouffez un rire : qui pourrait bien savoir ça ? Vous-même, vous ignorez le nom du chef’op de « Star Wars ».
Mais une main se lève au premier rang, et le a) lèche-bottes international ou b) cinéphile averti déclare fièrement : « Raoul Coutard ».

Comme dirait le Petit Nicolas : sale cafard !

dimanche 14 mars 2010

Le Chômage.

Le chômage, c’est un peu comme un gros microbe. Oh, détrompez-vous : je ne dis pas cela parce que c’est contagieux, ou que l’on n’a pas envie de l’attraper.

Bon, d’accord, c’est le cas aussi. Mais chut ! C’est moi qui raconte.

Rappelez-vous de vos années d’école, de collège, de lycée. On est en plein milieu de la semaine, vous vous levez pour être à l’heure en cours ; et puis, la fièvre s’en mêle, ou la gastro-entérite, l’angine, la peste bubonique, peut-être même simplement un excès de mauvaise foi – quoiqu’il en soit, vous avez la bénédiction de vos parents, et vous restez au chaud chez vous.
Vous êtes là, loque humaine sur votre canapé, et vous regardez les minutes défiler lentement sur votre magnétoscope. Tout le monde est parti travailler. Vous êtes seul. Vous allumez la télévision – avec un peu de chance, l’écran est en veille, la télécommande est à côté de vous, et vous n’avez même pas à vous lever. Elle n’est pas belle, la vie ? Et là, pourtant… c’est le drame.
Il n’y a rien.
R.I.E.N.
L’heure des émissions matinales est passée ; les clips sont terminés depuis longtemps. Sur toutes les chaînes, tout ce que vous trouvez, c’est du télé-achat. Là, vous commencez à comprendre que la journée va être très longue, finalement.

Eh bien, le chômage, c’est un peu pareil. On se lève, le soleil brille, les oiseaux chantent, et voilà. Rien.
Passé le moment où vous aurez envoyé vos trois-mille-deux-cent-cinquante-sept candidatures quotidiennes, l’ennui commence. Si vous avez de la chance, vous habitez dans une ville où vous pouvez avoir une carte de cinéma illimitée, promesse de quelques heures d’évasion. Bien entendu, une fois que vous aurez vu les seize films sortis mercredi dernier (oui oui, tous, y compris ce petit film indépendant ouzbèke - mais si, vous savez, celui qui a gagné un prix à un festival chiant à l’autre bout du monde), l’affaire se corse.

Votre premier problème, c’est que vous adorez le cinéma. Votre second problème, c’est que vous êtes suffisamment inconscient pour être déterminé à en faire votre métier. Votre troisième problème, c’est que vous voulez être réalisateur. Votre méga-problème, c’est que vous n’avez pas de piston.

Vous avez terminé vos études depuis trop longtemps pour avoir une convention de stage, et il vous faut trouver un travail. Un travail payé.
Vous avez eu beau écrire à l’intégralité des membres de l’Association Française des Assistants-Réalisateurs, forcer les membres de votre famille à contacter le beau-frère de la femme du fils d’un client (qui serait donc, potentiellement, dans le métier), écrire à mille sociétés de production, jamais vous n’avez réussi à vous caser sur un tournage. Et en plus, vous êtes provincial ! Quelle drôle d’idée.

Vous écumez donc les sites spécialisés ; vous êtes même inscrit au Pôle Emploi Spectacle, et vous êtes prêts à tout pour ne serait-ce que distribuer des gâteaux secs dans des salles de montage.

Oh ! Vous venez d’actualiser votre messagerie pour la vingt-deuxième fois (de l’heure, pas de la journée. Voyons !) Et, miracle ! Vous avez une réponse à l’une de vos candidatures ! Fébrile, vous l’ouvrez.
Bon, ce n’était pas encore la Paramount, mais cette petit boîte de prod’ à l’autre bout de la région parisienne, c’est mieux que rien. Au moins, vous restez dans votre domaine. Même si vous voulez être réalisateur, et qu’il s’agit d’un poste d’assistante de production. Même s’ils ne produisent que des films institutionnels pour des cabinets comptables. Même si, malgré votre bac + beaucoup, c’est payé au SMIC.

C’est mieux que le McDo – cette phrase est votre nouveau mantra.

Vous vous voyez déjà, allant fièrement travailler tous les matins, recevant un chèque à chaque fin de mois. Bien entendu, vos collègues ont tôt fait de repérer votre talent, et le boss croit tant en vous qu’il décide de vous produire un court-métrage. Vous l’écrivez, le réalisez, et paf ! Vous êtes nominés à l’Oscar du meilleur court-métrage. Tout ça grâce à une petite annonce sur Internet.

Vous lisez le message.

« Bonjour, nous vous remercions de l'attention que vous avez bien voulu porter aux Films Du ***** (ah, oui : même la plus obscure des boîtes de production se doit d’avoir un nom qui appâte). Après avoir longuement étudié votre candidature, nous avons le regret de vous informer que le poste a été pourvu » (réponse type numéro un).
« Nous avons étudié attentivement votre candidature et, malgré ses qualités, nous sommes au regret de vous annoncer que nous n'avons pas pu la retenir » (réponse type numéro deux).
Et, ma préférée, la réponse type numéro trois : « Votre profil ne correspond pas tout à fait à ce que nous recherchons ». Au moins, elle a le mérite d’être honnête. Car vous savez très bien qu’être diplômé d’une école d’audiovisuel ne suffit plus pour être assistante de production. Si vous pouviez parler cinq langues, être également diplômé en comptabilité et avoir huit ans d’expérience, ce serait un peu mieux. Et, malheureusement pour vous, ces gens là existent, visiblement.

Puisque vous n’avez pas de « piston », puisque vous êtes condamné à déprimer dans votre appartement en attendant que l’un de vos amis réussisse et vous propulse au firmament (ce qui, finalement, est tout aussi probable qu’un entretien d’embauche), pourquoi ne pas, finalement, mettre ce temps à profit pour faire ce que vous préférez, et écrire ?
Et c’est comme ça que l’on se retrouve à saouler des internautes en racontant des conneries sur un blog.


Vous ne me croirez probablement pas si je vous dis que j’ai reçu une réponse type numéro un pendant la rédaction de ce billet…