mercredi 4 août 2010

Mayday, Mayday!

Comme beaucoup de cinéastes en herbe, vous misez énormément sur les concours. Concours de scénario, concours de courts-métrages, Euro million.

Pour vous, depuis que Billy Bob Joe a rendu l’âme, c’est plutôt les concours de scénario. Billy Bob Joe, c’est votre fidèle caméra, le cadeau de vos dix-huit ans pour lequel amis et famille s’étaient cotisés – et à l’époque, il avait fallu beaucoup de Francs… Une bonne vieille caméra DV, qui en a connu des vertes et des pas mûres, et qui a décidé l’an dernier de dévorer toute bande ayant le malheur d’y être insérée. Hasta la Vista, Billy Bob Joe. Vous voilà sans caméra, mais toujours avec de quoi écrire.

Vous tentez donc régulièrement votre chance. Régulièrement, c'est-à-dire qu’une fois tous les six mois, vous avez une sorte de regain de motivation, que vous pondez d’un coup une tonne de trucs, et puis que vous vous dites ensuite que vous êtes nulle et que vous écrivez de la merde, jusqu’à ce que six mois après… etc, etc.

En l’occurrence, vous avez été prolifique à Noël dernier. Fin janvier, vous vivez donc depuis un mois déjà dans l’expectative… Parce que c’est bien ça, le problème : vous avez beau vous dire que vous êtes une merde, vous vous trouvez quand même géniale de temps à autre, et vous avez envie d’y croire.
Et puis, un jour, un moment magique arrive – vous savez, un de ces instants bizarres où le temps semble flotter, et où tout concorde parfaitement pendant quelques secondes, voire quelques petites minutes, pour former un tout si parfait que vous pensez alors « je suis heureuse ». Un moment au cours duquel des choses qui avaient si peu de chances d’arriver en même temps se produisent, et cette coïncidence si merveilleuse vous pousserait presque à croire que vous avez glissé hors de la réalité.
Vous pouvez ainsi escalader la dune du Pyla par une belle fin de journée d’été – il fait chaud, mais pas trop ; vous découvrez le lieu et trouvez tout cela assez magnifique : ce sable à perte de vue, l’océan qui s’étend derrière vous… vous atteignez le sommet et, rêveuse, vous vous laissez transporter par la magie du lieu. Le soleil se couche et scintille sur l’eau, le ciel touche au sublime, et votre chanson préférée qui passe ne fait qu’ajouter à votre félicité, et… quoi ? Votre chanson préférée ? Vous n’avez rien sur vous, si ce n’est une serviette de plage – comment une chanson vieille de plus de dix ans et que tout le monde a oublié peut-elle se retrouver à cet instant précis, à cet endroit, avec vous ? Ben, y a un type avec un lecteur CD, là derrière la motte de sable… Mais la coïncidence était trop belle, le moment trop parfait – c’était magique, comment le dire autrement ?

Vous avez saisi l’idée ? Bien.

Revenons à nos moutons. Un jour, donc… vous êtes au beau milieu du zoo de Budapest. Le mois de janvier touche à sa fin, toute la ville est sous plus d’un mètre de neige, et vous êtes sur le point de perdre vos orteils (lesquels ? tous).
Mais le temps est radieux, le ciel bleu à l’infini, et le soleil au rendez-vous. Vous êtes dans la section « Afrique », et le spectacle est assez incroyable – il faut dire que vous n’auriez jamais pensé voir des girafes sous la neige. C’est… féerique. Vous pourriez rester là des heures, à simplement les regarder. Vous sentez alors, contre votre cuisse engourdie, votre téléphone qui vibre. Aïe aïe aïe. On vous appelle de France. Mauvaises nouvelles en perspective : tout le monde sait où vous êtes, quelque chose de grave est probablement arrivé. Vous répondez. Ouuuh, la mauvaise nouvelle !
Vous avez gagné le concours de scénario du mois dernier ! Joie, bonheur, merci les girafes – promis, je ferais de vous l’emblème de ma société de production.

« Je suis heureuse ».


Six mois plus tard…

« Je vais tous vous buter ».

Vous êtes censée tourner dans deux semaines, et rien ne va plus. Tout avait pourtant si bien commencé…
Vous étiez sortie de votre première rencontre avec vos producteurs gonflée à bloc. Bon, d’accord, ce n’est pas vraiment une boîte de production, et ce ne sont pas vraiment des producteurs. Mais ce sont indubitablement d’adorables passionnés qui sont prêt à investir un certain budget dans votre petite histoire. La page Internet du concours précisait que le lauréat verrait son scénario déposé à la SACD, et qu’il y aurait « possibilité de co-réalisation ». Vous étiez donc partie dans l’idée que vous vous contenteriez de la gloire timide et discrète du scénariste, et la simple idée de devenir «officiellement» un Auteur Dramatique emplissait votre petit cœur de joie. Mais vos producteurs vous annoncent immédiatement que non, vous allez bel et bien réaliser ! Ils veulent simplement avoir un «droit de regard»… Aucun problème pour vous. Vous n’êtes pas quelqu’un de compliqué, et puis vous leur êtes drôlement reconnaissante.
En fait, cette première entrevue se passe excellemment bien. Pour dire les choses simplement : vous ordonnez, ils exécuteront. Plus ou moins ce dont tout réalisateur rêve, en somme. Vous créez, et ils mettront tout en œuvre pour que ce qui sort des méandres de votre petite cervelle fumeuse se réalise. Vous avez visiblement la même vision du film, et vous sentez que cette collaboration peut être fructueuse – ils ont le budget, vous avez les idées, vous allez cartonner.

Pauvre créature naïve que vous êtes ! Vous n’apprendrez donc jamais rien ?

Quoiqu’il en soit… pour l’instant, vous y croyez. Dans un élan de bravoure (ou d’inconscience, c’est selon), vous écrivez à des acteurs pour le moins… célèbres, dans l’espoir qu’ils jouent dans votre court-métrage. Pourquoi pas… cela s’est déjà vu, non ?
Pas pour vous, en tous cas. Niveau de réponse : zéro. Même pas une petite réponse négative. Pour un peu, vous auriez l’impression de chercher du travail. Oh, vous étiez tout à fait consciente du fait qu’il y avait peu de chances que votre missive franchisse la barrière de l’agent, cette créature diabolique et redoutée de tous. Un court-métrage ? Pas payé ? Ha, ha, ha ! Et pourquoi pas une pub pour la constipation passagère, tant qu’on y est ?
Prévoyante, vous aviez pourtant joint à votre petit dossier une lettre pour le butor, du type « oh hé ducon, je sais comment ça se passe dans ton milieu de merde, mais laisse pas mon truc moisir en haut d’une pile, merci bien ». En plus poli, quoi. Peut être que les agents n’ont pas d’humour.
Peut être que votre scénario est à chier, en fait. Qui sait ?

La date approche lentement. Vous n’avez pas d’ingé son, pas de chef op’, mais vous avez un régisseur. Votre lumière sera peut-être à chier, mais au moins, vous aurez droit à du cake de tournage et à des spaghettis bolognaise, non mais oh.

Les jours passent. Vous trouvez vos acteurs, faites des essais, pleurez de rire – c’est bien simple, quand vous regardez vos rushes, la caméra en tremble. Vous êtes toujours motivée. Ce film peut être bien.
La date approche un peu plus vite (ingénieur du son : 0, chef opérateur : 0), et c’est alors que l’évènement intitulé « Catastrophe Majeure Numéro 1 » se produit. Pour vous, en tous cas, c’est une catastrophe. Une bande-annonce tourne sur Internet ; cette bande-annonce pourrait ressembler à des milliers de bandes-annonces de gros blockbusters estivaux… si le film ne portait pas exactement le même nom que le vôtre. Bien entendu, il traite d’un sujet similaire. Bien entendu, les crétins décérébrés à l’origine de ce cataclysme auraient pu traiter d’un sujet similaire sur le ton du drame, là où vous faites une comédie. Non, c’est une comédie. Evidemment.
Thérèse, c’est une catastrophe.

Mayday, mayday. Votre moral est en chute libre. Qui voudra croire que vous avez écrit votre scénario il y a plus désormais plus de six mois, et qu’à l’époque tout cela vous paraissait follement original ? Votre film va passer pour un gros plagiat. En conséquence, vous songez à vous faire hara-kiri, mais bon – pas avant d’avoir eu un Oscar, on a dit. Vous vous contentez donc de déprimer en silence, c'est-à-dire sur Facebook. Vous êtes tellement 2010…

Le hic, c’est que la CM°1 semble avoir été le déclencheur de toute une série de Catastrophes Majeures. Votre acteur principal vous annonce notamment qu’il part en vadrouille, et ne sera pas disponible avant… le jour du tournage. Dans le cul la balayette, comme on dit chez vous. Adieu essais, costumes, maquillages. Votre entourage conteste cette CM : « ca pourrait être pire », « ce n’est pas grave, il est tellement bon »… Très bien. Vous voulez de la bonne grosse catastrophe, vous allez en avoir. Il ne fallait pas demander.
Votre cadreuse a un accident de voiture. Si, si. Elle va bien, mais elle se fracture des tas d’endroits utiles. Donc… non, vous n’avez plus de cadreuse. Mais ce n’est pas grave – après tout, ce n’est pas comme si vous n’aviez toujours personne à la lumière… hum.

Mais que deviennent donc vos producteurs, au fait ?

Vos producteurs sont en vacances, et ont visiblement décidé de se la jouer à l’américaine, à savoir qu’ils préparent – contre votre gré, cela va de soi – le tournage d’une version de votre scénario qui ne vous plaît pas.
Parce que bon, votre scénario, vous l’aimez bien, mais… vous n’avez jamais vraiment aimé la fin. Vous l’avez plus ou moins torchée, il faut bien le dire – la date limite approchait à grands pas (disons le franchement, il vous restait à peines quelques heures), et il fallait clore la chose. Votre scénario a donc évolué vers une fin que vous jugez meilleure, plus mordante, plus en adéquation avec ce que vous voulez dire. Peut être pas encore parfaite, mais indubitablement meilleure.
Inutile d’avoir 150 de QI pour comprendre que, plus de deux semaines après l’avoir soumise à ses producteurs, ne pas avoir de réponse est plutôt mauvaise signe. Un signe que l’on pourrait traduire par « t’es bien gentille mais on trouve ça nul, et on ne sait pas comment te le dire ».
Vous auriez préféré que l’on soit honnête avec vous. Une petite conversation autour d’un verre et un bon brainstorming entre amis et hop ! Ca repart. Tsssss. Naïveté, toujours. Vos fesses vous picotent quand vous comprenez qu’ils préparent, sans vous en avoir touché mot, le tournage de la première version.

Non mais c’est pas possible, ça ! Ca ne fonctionne pas. C’est tout. Voilà. Vous le SAVEZ. Vous ne prétendez pas être Robert McKee, mais là… C’était une fin bidon pour grand public. Vous avez écrit une fin plus subtile. Vous êtes inconsolable. Ah, alors ça fait ça, de travailler à Hollywood et de se faire entuber par les frères Weinstein ?
En même temps, vous commencez à comprendre que vous n’avez PAS DU TOUT la même vision du film. Vous voulez faire une comédie cynique, noire et grinçante, n’hésitant pas à être vulgaire. Eux, ce serait plutôt une comédie familiale avec Eddie Murphy et un golden retriever. Vous voulez «Tonnerre sous les tropiques», ils exigent «Le Grinch». Aouch.

Ces mésaventures n’étant que des catastrophes parmi tant d’autres, vous aimeriez désormais savoir une chose : quel est l’enfoiré qui a bousillé une poupée vaudou à votre effigie ? - Inutile, toutefois, de préciser qu’une fois votre tournage terminé, une fois le montage achevé, une fois votre procès derrière vous (tu ne tueras point, qu’Il avait dit), vous contemplerez le produit fini et, ému, vous penserez, « putain, qu’est-ce que j’aime ce métier »…

La suite au prochain épisode…