mercredi 27 juin 2012

Chroniques de la Terre du Milieu – Un Hobbit sur la route.

Il ne fera plus jamais beau. C’est, en tous cas, l’impression que vous avez ; vous êtes en totale dépression météorologique.

Tiens, c’est étrange, ce temps sinistre vous rappelle quelque chose… Voyons voir… C’était l’été, mais il pleuvait un jour sur deux, et vous avez du apprendre à tout faire sous la pluie… Ah, oui, la Nouvelle-Zélande. What else !

Quelle meilleure occasion pour continuer les Chroniques de la Terre du Milieu ? Avec un temps pareil, l’écriture vous semble être une délicieuse tentation… même si, dans votre imaginaire, vous vous visualisez dans un bon gros fauteuil au coin du feu, un chai tea latte viennois à vos côtés et l’ordinateur sur vos genoux (vision bien éloignée de la réalité, puisque vous êtes dans un studio en banlieue parisienne et que les simples vitrages, en plus d’une horrible lumière grise et crue, laissent passer les cris des moutards de l’école d’en face. Diantre.)

La Nouvelle-Zélande, donc… Il fallait au moins ça pour vous faire acheter (et porter !) un K-way et des chaussures de marche. Mais quelle aventure ! Et quelle poisse, accessoirement. La preuve en images, et en un article.

Mardi 13 décembre 2011 (coïncidence amusante, vous n’aviez jamais remarqué que c’était un treize). Vous quittez le parc national d’Abel Tasman, au Nord de l’Ile du Sud, pour vous rendre à Kaikoura, quelques centaines de kilomètres plus bas. Vous êtes de très bonne humeur ; tout d’abord, vous êtes en voiture avec une amie et de la bonne musique (pour ne pas dire que vous chantez à tue-tête sur un vieux CD de Blondie acheté pour une bouchée de pain dans un centre commercial), et vous adorez l’idée de ce road-trip dans une contrée lointaine.
Ensuite, vous avez, la veille, réussi à parcourir treize kilomètres à pied en moins de quatre heures, dans la forêt, sous la pluie, sans rien à manger (une seule boutique à l’orée du parc national, qui avait bien sûr été mise à sac juste avant votre départ), et vous vous sentez donc invincible et particulièrement en forme – vous êtes officiellement une Indiana Jones, une Ellen Ripley, rien ne vous fait peur et vous êtes prête à en faire dix fois plus, par l’enfer ! (NB : le parc national d’Abel Tasman est censé être l’un des plus beaux endroits du monde. Des plages de sable fin, une eau claire, bref, le paradis. QUAND IL NE PLEUT PAS. Sinon, vous vous retrouvez à randonner sous la pluie, à défaut de pouvoir admirer les colonies de phoques en kayak dans des lagons comme les aimerait Jack Sparrow.) (Ceci dit, c’était très chouette. Quand même.)
Enfin, vous vous dirigez vers une bourgade réputée mondialement pour ses animaux marins, et l’idée de nager avec des dauphins et de voir des baleines vous fait sourire niaisement (OK, d’accord, ça fait moins Ellen Ripley, là).

BREF. Vous êtes particulièrement joyeuse. Même s’il pleut…

Au milieu de la route, soudain, un ralentissement : les voitures sont arrêtées et passent au compte-goutte sur un pont. Vous passez ledit pont à votre tour et ooooh ! Un tournage ! Des camions régie et des bonhommes en K-way avec des talkie-walkie !


Bah. C’est mignon, mais ça ne peut pas être le tournage du Hobbit : tout le monde sait qu’il a lieu loin des routes, dans des endroits reculés, et qu’il est au moins aussi protégé qu’un chef d’état en visite en Irak. Aucune chance. Vous continuez à rouler – accessoirement, il est midi passé, et vous mourrez de faim. Et il pleut. Pas de regrets.
Vous continuez sur quelques kilomètres, et, après une dizaine de minutes, arrivez dans une petite ville répondant au doux nom de Havelock.


Quelques maisons, un port et ouf, un restaurant – un énième restaurant avec une petite figurine de moule vous accueillant joyeusement à l’entrée. Vive la mer, vive les moules, et à table, alors !


Pour changer, votre serveur est FRANÇAIS – c’est assez incroyable, le nombre de Français qui ont eu l’idée brillante d’aller s’installer en Nouvelle-Zélande pour changer de vie. Vous n’en avez jamais croisé autant, pas même à New-York pendant les vacances scolaires… Ceci dit, les Français de Nouvelle-Zélande sont autrement plus sympathiques que les affreux bourgeois à mèche de quinze ans écumant la Grosse Pomme dans leurs gilets Abercrombie.
L’avantage d’avoir un serveur français, pour le coup, c’est que vous entamez immédiatement une petite discussion ; depuis combien de temps êtes-vous ici ? D’où vous venez, en France ? Et tiens, c’est quoi ce tournage sur la route ?

(la musique de « Psychose » commence. La scène de la douche, cela va sans dire.)

« Le tournage ? C’est la suite du Seigneur des Anneaux, bien sûr ! Ils sont là pour trois jours, et le soir ils viennent manger ici. Toute l’équipe est super sympa, on rigole bien… »

Bon, là, tout va assez vite – il y a comme un truc qui se brise à l’intérieur de vous. LA.SUITE.DU.SEIGNEUR.DES.ANNEAUX.
Peter Jackson est dans un rayon de moins de dix kilomètres. Le film le plus attendu de l’année se tourne là, tout de suite, maintenant, à côté de vous, et vous l’avez dépassé parce que VOUS AVIEZ FAIM !!! (vous êtes bien un Hobbit, tiens.)

Alors c’est peut-être le stress accumulé au cours du voyage, le fait que vous ne savez pas quoi faire, que vous vous sentez très stupide, ou encore simplement la tristesse de réaliser que vous ne pourrez probablement rien y faire mais bon, voilà, autant l’avouer : vous éclatez en sanglots.

AU REVOIR, ELLEN RIPLEY.

Vous ne pouvez pas rester pour attendre le soir, et manger avec toute l’équipe ; votre planning est très serré, et il vous reste encore plusieurs centaines de kilomètres à parcourir avant la nuit. Si vous aviez du temps et un budget illimité, bien sûr, la question ne se poserait pas, et vous regrettez plus que jamais que vos parents ne possèdent pas une chaine hôtelière de luxe, et vous vous dites que vous auriez quand même pu investir au moins une fois par semaine dans un ticket d’Euromillions. Mais les faits sont là : vous ne pouvez pas rester, point barre.
Vous ne pouvez pas non plus partir sans avoir rien fait ; vous pensez au discours du président des Etats-Unis dans « Independance Day » : « Nous ne voulons pas disparaître sans nous battre ! ». Eh bien là, euh, voilà, c’est un peu pareil.

Heureusement, vous avez une co-équipière de choc qui, bien qu’elle ne comprenne pas trop comment il est possible de pleurer pour un film de plus de trois heures avec des nains poilus qui se battent contre d’autres mecs bizarres en costumes, décide de faire demi-tour et de vous emmener jeter un œil sur ce fameux tournage. Reconnaissance éternelle – nous ne sommes pas grand-chose sans nos amis.

Vous voilà donc reparties en sens inverse. Hé ! Il ne pleut même plus. Vous avez mal au bide comme si vous alliez passez votre Bac une troisième fois (quoi ? C’est bien connu, les cinéastes sont des cancres. Ca, et le fait que les équations différentielles mériteraient d’être jetées aux oubliettes et dévorées par les Nazgûls).


Vous arrivez de nouveau au niveau du pont… Sur votre gauche, une aire routière ; sur votre droite, des toilettes. La production a réquisitionné l’aire, qui est donc fermée par des barrières et des régisseurs armés jusqu’aux dents, mais les toilettes semblent accessibles. Stratégie : vous êtes des filles. Vous allez donc faire semblant d’avoir très, très, très envie de faire pipi, et vous approchez des toilettes. Ni vu, ni connu. Action !

Devant les toilettes sont garés des camions contenant de gros tonneaux. Le genre « gros tonneaux à bière pour Hobbits ». Pas de vrais tonneaux, quoi, des accessoires de cinéma. Hmmm. Vous les fixez bien du coin de l’œil, pour pouvoir ensuite crier que vous les avez vus en vrai quand vous les apercevrez dans le film. Ha, ha ! A défaut de mieux…
Vous faites pipi à côté d’une dame à l’air sévère avec une oreillette ; vous vous dites qu’elle a CARREMENT un look de productrice, et vous commencez à fantasmer : c’est effectivement une des « executives » de Warner Bros. Elle va vous demander un mouchoir, vous allez lui en donner un et entamer la conversation ; bien sûr, vous allez sympathiser immédiatement, grâce à votre sens de l’humour surdéveloppé, et elle va vous emmener avec elle sur le tournage, où elle vous présentera à Peter Jackson, parce que bon, quand même, vous avez parcouru plus de vingt mille kilomètres, alors quel hasard extraordinaire de tomber sur eux, et…
La femme sort des toilettes sans même un regard pour vous. Bon.

Vous sortez des toilettes et, plus déterminée que jamais, vous foncez droit sur le régisseur qui monte la garde devant l’entrée de l’aire. Il est jeune, il a l’air sympa et puis zut à la fin, les Néo-Zélandais sont tous plus gentils les uns que les autres, il ne peut pas vous envoyer bouler.

- Bonjour… Il se passe quoi ici ?
- Oh, euh, rien, des travaux sur la route…
- Ah. Non parce que, en fait, je suis réalisateur (oui, bon, vous décidez d’essayer de l’impressionner un peu), et je sais reconnaître un tournage quand j’en vois un, je ne suis pas stupide. Et je sais que c’est un tournage.
- Euuuuh (le type est super, super gêné, et commence à vous parler en regardant en l’air. Mon Dieu – on dirait vous, il n’arrive pas à vous envoyer promener, il est trop gentil) … Euh oui, bon, OK, c’est un tournage.
- Merci. Et ce ne serait pas le tournage de « The Hobbit », par hasard ?
- Euuuuh… j’ai rien le droit de vous dire…
- Non mais bon, en fait on me l’a dit. Je sais que c’est « The Hobbit ».
- Je peux rien dire, je suis désolé… (mais il se passe quoi dans le ciel, à la fin ? Arrête de regarder en l’air !)
- Bon, écoutez. Je viens de France, je ne suis là qu’un mois. Je ne vous cherchais pas et je vous tombe dessus par hasard, juste parce que vous êtes sur le chemin que j’emprunte aujourd’hui. C’est pour ainsi dire le destin ! Alors euh, sachant que je viens de très, très loin, que je veux être réalisateur et que le cinéma c’est toute ma vie… Je peux passer ? S’il vous plaît… ?
- J’ai pas le droit…
- S’il vous plaît…
- Je suis désolé, je ne peux pas.

Voilà. TOUT CA POUR CA. Ô rage, ô désespoir, ô ventouseur ennemi ! Qu’étiez-vous censée faire ? Vous roulez par terre en pleurant, ou partir dignement ? La deuxième option paraissait plus raisonnable. Au moins, vous avez essayé…

Comme on dit : si proche, et pourtant si loin. Gnnnnnn, que c’est FRUSTRANT ! Foutu destin ! Pourquoi vous mettre l’eau à la bouche pour ensuite vous narguer ainsi ? Vous auriez préféré ne jamais tomber sur ce maudit tournage.

En repartant, vous essayez d’emprunter un chemin à travers champs, le long de la route – peine perdue, vous ne croisez pas Peter.
Votre voiture est arrêtée encore une fois quelques kilomètres plus loin, en direction d’Havelock, et vous comprenez enfin le manège ; les voitures sont autorisées à passer quand la caméra ne tourne pas… sinon, elles sont dans le champ.


En bonne groupie que vous êtes, vous profitez donc de cette pause pour photographier tout le paysage autour de vous – Nord, Sud, Est, Ouest. Voilà. On ne sait jamais.




Quoiqu’il en soit, la production a mis le paquet – c’est la route principale, la seule à des kilomètres à la ronde, et ils ont les moyens de la bloquer… Vous voyez mal Gaumont bloquer l’A6.

Eh bien oui, lecteur, voilà, c’est tout. On vous a envoyé bouler – votre journalisme d’investigation n’est pas encore au point. Vos techniques de persuasion non plus.
En plus, vous n’avez vu aucune baleine à Kaikoura. Bon, d’accord, vous avez nagé avec les dauphins en eaux profondes ; toutefois, cette expérience restera surtout inoubliable du fait que l’intégralité de votre bateau, vous incluse, a vomi comme Regan dans
« L’Exorciste ». Ah, la vie d’aventurier…

Deux jours intéressants, comme on dit !