vendredi 30 septembre 2011

Same player shoot again

Allez. Le Grand Traumatisme a eu lieu il y a maintenant deux mois, et vous vous sentez enfin prête à le raconter sans risques. Quels risques ? Projeter violemment l’ordinateur contre le mur, envoyer un colis piégé, ce genre de choses.

Mais commençons par le commencement.

En ce bel été 2011, vous ouvrez, comme tous les jours, votre messagerie, dans l’espoir d’y trouver une offre d’emploi quelconque ou un e-mail de Steven Spielberg, tombé par hasard sur vos courts-métrages alors qu’il s’ennuyait sur internet.
Le message que vous trouvez alors s’apparente plus, pour vous, à la deuxième option.

Un assistant-réalisateur, un vrai, vous a contacté. Il prépare actuellement un long-métrage devant se tourner dans votre région, et recherche un stagiaire mise en scène ; la commission du film locale lui a fait parvenir votre CV, et il aimerait savoir si vous êtes intéressée.

Etes-vous intéressée ? Hmmm. Point négatif : être stagiaire à vingt-sept ans, c’est régresser quelque peu. Points positifs : il s’agit d’un long-métrage, un vrai, pas une œuvre obscure et autofinancée. Vous allez être payée bien au-delà du SMIC. C’est un film ANGLAIS. Oh, accessoirement, les rôles principaux comprennent une star de la saga «Harry Potter» et un ami à Christopher Nolan.

Vous êtes intéressée.

La vérité, c’est que même s’il ne faut jamais vendre la peau de l’ours, vous êtes pour le moins hystérique. Vous vous refusez à le dire à qui que ce soit, de peur de vous porter malheur, mais vous prévenez tout de même vos parents, pour les rassurer. Mauvaise idée : la joie de votre père dépasse la vôtre. Il vous voit déjà tirée d’affaire, lancée dans le métier, à l’abri du besoin.

Il faut toutefois admettre que cette proposition inespérée tombe à pic. Vous qui n’y croyiez plus, voilà qu’une offre de folie vous tombe tout cuit dans le bec – tout hasard semble impossible. C’est tellement insensé, tellement incroyable – cela faisait tout de même quatre ans que vous étiez inscrite à la commission, quatre années durant lesquelles son absence absolue vous avait poussée à douter de son existence. Et là… BAM. Vous n’avez rien demandé, et on vous propose un rôle à la mise en scène sur un film de guerre. Donc, Dieu existe. Ou le Père Noël. Ou les fantômes de vos grands-parents. Ou les extra-terrestres. En tous cas, il paraît impossible que ceci arrive de nulle part – c’est forcément votre destin qui vous appelle, et VOUS NE POUVEZ PAS ne pas avoir ce job.

Hum.

Jour J – entretien à Paris. Bien entendu, le RER fait des siennes et vous voilà obligée de courir. Dieu merci, votre veste noire camoufle le fait que vos dessous de bras se sont transformés en piscines. Vous arrivez échevelée et essoufflée. Nom de Zeus, pourquoi faut-il toujours que les boîtes de productions aient des locaux pourris dans des immeubles délabrés et sans ascenseur ? Monde cruel.

Il vous attend dans un petit bureau. Il ressemble à Kevin McKidd, ce qui est dommage car vous serez désormais tentée de vous rouler par terre en criant dès que vous verrez cet acteur.
Au premier abord, il a l’air sympathique – vous vous asseyez confiante. Mauvaise idée : il attaque immédiatement avec une diatribe sans pitié sur les étudiants en cinéma.
« Alors je ne sais pas ce qu’on vous apprend dans les écoles, à vous les jeunes, mais… ». Bla, bla, bla. Cinq minutes consternantes durant lesquelles le monsieur s’énerve tout seul, furieux que les « jeunes » confondent le métier de réalisateur avec celui d’assistant. Et tout cela sans que vous ayez ouvert la bouche – vous n’êtes pas allée plus loin que les salutations.
Vous bouillonnez intérieurement, outrée et très mécontente que l’on vous prenne pour une quiche, et vous tentez une blagounette : « Eh bien, euh, je suis ravie qu’on me traite de jeune, ha, ha… ». Raté. Il n’a pas l’air d’avoir de l’humour. En tous cas, pas là, tout de suite, maintenant.
Bon, vous n’allez tout de même pas vous laisser insulter – vous lui répondez gentiment que vous n’êtes plus étudiante depuis longtemps, que vous êtes plus que consciente qu’un assistant-réalisateur n’est certainement pas un réalisateur (c’est peut-être pour ça qu’il est aigri, tiens), et que, grosso modo, vous êtes tout à fait d’accord avec lui. Vous réussissez à éviter de renverser son bureau en hurlant des choses comme « Non mais pauvre abruti, tu me connais pas et tu te permets de me critiquer alors qu’on a même pas encore parlé de mon expérience ? Tu veux t’battre, tu veux t’battre ?!! »… (version polie, mais vous êtes vraiment fâchée).

Votre CV est imprimé sur le bureau du bourreau, mais il ne l’a visiblement pas lu, de toutes façons – il semble réellement croire que vous sortez à peine de l’école et que vous n’avez jamais mis les pieds dans la vraie vie. D’accord, vous n’avez jamais eu l’occasion de travailler sur un long métrage, mais entre vos divers stages et emplois à la télévision, en boîtes de production, vos court-métrages et les expériences variées que vous avez eues dans le métier (non, cette phrase ne contient aucun sous-entendu sexuel), vous êtes loin d’être une débutante. Vous seriez même plutôt blasée. Une chose est sûre, vous êtes simplement loin d’être débile. Même si vous êtes donc flattée de paraître plus jeune que votre âge, vous ne pouvez le laisser croire que vous êtes une gentille paysanne débarquant de sa province. Vous décidez donc de parler court-métrage.

Quelle idée merdique. Vous avez réveillé la bête.

« Ah non. Il n’y a rien à voir. Vous êtes là, vous les jeunes, avec votre petite caméra, tout contents, à dire que vous faites du cinéma, mais vous n’y connaissez rien ! Si le chef op’ veut une heure de plus pour sa lumière, vous vous en foutez!»…
Vous regrettez amèrement de ne pas avoir enregistré cette conversation – vous auriez ainsi pu retranscrire cette tirade dans toute sa bassesse et sa mauvaise foi. Même si la partie sur les jeunes qui ont l’impression de faire du cinéma est pratiquement intacte…
Vous êtes humiliée, vexée et surtout blessée. Comment un type ayant lui-même réalisé des courts-métrages professionnels en 35 millimètres, avec une tête d’affiche et plusieurs sélections en festivals, peut-il attaquer ainsi ce format ? * Croit-il sincèrement que vous avez seize ans et que vous tournez des parodies de films d’horreur dans le jardin de vos parents avec la caméra familiale ? Il semblerait que oui.
Vous aimeriez lui raconter votre parcours, de votre amour sincère du cinéma à votre film de fin d’études, de vos tournages de prime-times au concours de scénario que vous aviez gagné. Vous aimeriez lui parler des deux jours de tournage que vous avez déjà eu, ni plus ni moins, pour achever un court-métrage, des moments de panique et de toutes ces fois où vous avez failli fouetter votre chef opérateur pour qu’il arrête de chipoter.
Vous aimeriez lui parler des nombreux courts-métrages qui se font produire, chaque année, par de vraies boîtes de production, où chaque technicien, chaque acteur est payé et déclaré comme pour n’importe quel long-métrage. Des courts qui se font acheter par des chaînes de télévision, qui sont présentés à Cannes.
Vous aimeriez lui parler de votre professionnalisme, de vos capacités, de votre motivation, et vous aimeriez vous vendre. Mais vous n’y arrivez pas. Parce que vous êtes tétanisée… et parce qu’il ne vous laisse pas en placer une.

Sa seconde entre. Vous voici désormais face à deux personnes – miam. Vous pensez encore, cependant, avoir le poste. Entre deux coups de gueule, Kevin McKidd semble en effet sous-entendre qu’il vous prendra. Suspense…

« Tu parles anglais ?
- Oui.
- Tu parles allemand ?
- Non. Espagnol ?
- Non. Tu as le permis ?
- Non. Si c’était le cas, je l’aurais mentionné sur mon CV…»

Ouh, la petite insolente que vous faites. Qu’il culpabilise donc un peu de ne point avoir lu les magnifiques deux pages trônant sur le bureau!
Gros blanc. Vous essayez une nouvelle blagounette. « Si c’était le cas, je rechercherais un poste de régisseuse… ».
Kevin McKidd vous jette un regard horrifié – il faut dire que vous passez alors, à ses yeux, pour une handicapée mentale. C’est toutefois son assistante qui attaque la première et vous passe un savon pendant cinq bonnes minutes. Décidément, ils ont l’art du monologue, ces deux là… Vous serrez les dents et souriez niaisement, acceptant sans broncher la douche d’insultes à peine dissimulées. Comment osez-vous postuler à un poste d’assistante sans avoir le permis ? Ben, euh, peut-être parce que ce sont eux qui sont allés vous chercher, et qu’ils avaient votre CV depuis le début ? Gnnnnnn.

Kevin McKidd vous déclare ensuite que tout ceci est bien embêtant, car vous auriez pu avoir le poste s’il ne s’agissait pas là d’un film au « budget réduit » : il comptait sur vous pour transporter les acteurs et faire les courses – les joies de la régie, somme toute. Il semble effectivement évident qu’un film historique bourré de têtes d’affiche puisse manquer de budget…
« Vous êtes une assistée, pas une assistante ».

Vous avez envie de pleurer ou de lui cracher au visage. Pleurer semble toutefois plus facile, parce que vous n’avez jamais réussi à cracher. Mais vous faites bonne figure.
Les deux acolytes, après un regard on ne peut plus explicite, vous déclarent qu’ils n’ont plus de questions, et que vous pouvez prendre congé : « on vous rappellera ». Vous vous levez dignement (enfin, c’est ce que vous pensez, vous n’aviez pas de retour vidéo), et leur faites comprendre que vous n’êtes pas dupe. Vous leur souhaitez bonne chance pour le film et quittez les lieux tout sourire – vous n’allez quand même pas leur montrer qu’ils vous ont touchée.

Bon. Aurait-ce été vraiment intéressant d’avoir un job fantastique, si le courant ne passait pas du tout avec vos supérieurs ? Etes-vous passée à côté de l’occasion de votre vie, de l’emploi qui aurait tout débloqué ?
Vous ne savez pas.

Kevin McKidd voulait vous faire comprendre que le métier est difficile, et que lui-même en a bavé. Certes. Pour autant, de quel droit de parfaits inconnus peuvent-ils se permettre de s’acharner sur vous lors d’un entretien ? S’en prendre à un l’un de ses subordonnés qui l’aurait mérité, d’accord. Mais depuis quand s’énerve-t-on sur des candidats ?

Vous avez l’amère impression que l’on ne vous a rencontrée que parce que vous étiez une « locale ». Ce type savait-il seulement que vous viviez et travailliez à Paris ? Et même si vous habitiez toujours dans la région de vos parents, la région où vous vous êtes inscrite à la Commission du Film… cela ferait-il de vous une pauvre provinciale inculte ? Vous n’étiez qu’une péquenaude, dans ce bureau, une gentille paysanne, et vous méprisez encore une fois l’arrogance et la suffisance de ces parisiens qui se croient supérieurs.


Pour vous venger, vous deviendrez un immense réalisateur.




* Merci Google.