mardi 11 mai 2010

L'Ecole des Fans 2, ou la Prostitution Scénaristique.

J’annonce : faire une école de cinéma, c’est un peu comme se prostituer. Eh ouais.

Au risque de ruiner le suspense, je m’explique de suite. Enfin, avec le temps que ça va prendre… !

Comme vous pouvez l’imaginer, suivre des études d’audiovisuel est un pur bonheur et, j’en suis consciente, un privilège. J’ai encore en mémoire la rentrée des classes, en première année – j’étais aux anges, que dis-je, je ne me sentais plus de joie !
Petit exercice de visualisation… Vous êtes assis là, tremblant de peur et d’excitation, entouré d’inconnus dont la majorité a l’air infiniment plus à l’aise que vous. Bon, tout ne peut pas être toujours parfait ; le yin, le yang et compagnie font qu’une partie de la salle est constituée « d’artistes », vous savez, ces personnes qui ont la phrase « j’ai un look » écrite sur le front et qui ont fait que vous avez préféré éviter la section littéraire au lycée. Vous outrepassez toutefois votre sentiment d’effroi, grisé par les évènements.
Il faut signaler que vous êtes, tout de même, assis dans une salle de projection, face à un immense écran blanc – et ça, ce n’est pas en école de commerce que vous allez le trouver. Le directeur, qui sait s’y prendre, commencera d’ailleurs son discours par la phrase suivante : « Cet écran est blanc, à vous de le remplir ». Que d’émotions en perspective…
Vous sortez de là gonflé à bloc, la tête pleine de rêves. Vous avez trois ans d’études devant vous, autant dire l’éternité ; vous ne pensez pas encore à la suite et d’ailleurs, vous ne vous imaginez pas une seconde que ça pourrait être difficile. C’est bien simple, en fait : vous êtes le roi du monde.

Pour l’instant.

On dit que les Français sont mauvais dans pas mal de domaines (cinématographiques, j’entends. Quoique…) : les films de genre, les films d’action. Les comédies romantiques. Entre autres. Et encore, ne nous plaignons pas : personne ne s’est encore frotté au film de super héros (rire sadique).
Oh, bien sûr, il y aura toujours une exception pour confirmer la règle, et vous redonner foi en vos compatriotes. Mais on ne peut nier que, quand on essaye de faire aussi bien que d’autres… Hum. Je ne parle même pas de copier les Américains ! Les Anglais savent tout de même nous pondre des comédies géniales, des Richard Curtis, des Danny Boyle ; les Espagnols nous font des films fantastiques incroyables, et j’en passe ! Et tout ce beau monde ne nous arrive pas de l’autre côté d’un océan…

Or, ce à quoi on ne pense pas forcément, c’est que l’on nous formate, dès l’école, à pondre des films d’auteur. Non, je suis gentille, et puis il y a de très bons films d’auteur. Disons plutôt des drames psychologiques glauques et si possible, chiants à mourir. Ou nuls à chier. Peu importe le nom, mais pour sûr, il y a de la merde dedans.
Au-delà de ça, on va vous pénaliser si vous avez l’insolence de faire une comédie, de la science-fiction, ou, plus généralement, du divertissement. Et puis si vous pouviez éviter de mettre un début, un milieu et une fin dans votre scénario, peu importe l’ordre… tant qu’à faire. Soyez contemplatifs, un peu… avec une pointe d’expérimental, ce sera parfait.

J’ai probablement l’air aigrie, mais malheureusement, je peux vous assurer que c’est du vécu. Quoiqu’on vous en dise.

Inutile, donc, de se demander pourquoi les Français n’assurent pas pour ce qui est de faire rêver les foules.

Pour en revenir au point de départ, je ne vous cache pas qu’il vous est donc impératif de vous adapter, le moment venu. Si vous ne voulez pas vous faire assassiner par le jury des projections, briser votre moyenne et vous assurer le mépris de vos professeurs, vous allez devoir revoir votre plan de carrière.
Ce que j’appelle faire de la prostitution scénaristique.

Ce n’est pas chose aisée. On vous pousse à exorciser vos problèmes psychologiques profonds ; or, vous avez le malheur d’avoir eu une enfance très heureuse, et personne ne vous a violée, battu, humiliée. Vous ne connaissez pas d’autistes, de malades mentaux, de tueurs en série, et votre rapport au sexe est parfaitement sain. Vous aimez la vie, en plus. Bref, c’est mal barré. De quoi pourriez-vous bien parler ?

Vous essayez bien d’écrire des trucs sur un handicapé séropositif qui se fait violer par des animaux, d’où un problème relationnel avec son conjoint homosexuel – en plus, c’est un couple interracial. Mais rien à faire.

Ce qui vous rassurerait, c’est que vos petits condisciples souffrent des mêmes affres créatives que vous. Loin de là…


Je pensais que tout le monde était comme moi : biberonné au cinéma qui fait rêver, désireux de se prendre pour Spielberg, rêvant d’effets spéciaux, d’extra-terrestres, de gros tournages, de sang et de rires.
En même temps, au cas où vous ne l’auriez pas encore compris, j’étais un peu naïve.

Il se trouve que, au cours de votre cursus, vous réaliserez assez vite qu’une bonne partie des élèves est composée soit d’innommables hypocrites, soit de gosses de riches… soit de personnes ayant réellement un problème.

Il se trouve également que votre promotion ne fait pas exception à la règle. Elle est même dé-li-ci-eu-se, dans son genre. Et délicieusement cliché.

Nous avons donc, au garde à vous, toute une troupe de joyeux saltimbanques prêts à révolutionner le cinéma…
Il y a tout d’abord, bien entendu, le beau gosse qui n’a rien à dire ; mais ce n’est pas grave, Papa est plus ou moins célèbre et le cinéma, c’est cool. Ce petit veinard sera d’ailleurs le seul à se dégoter un directeur de mémoire qui soit un VRAI réalisateur ayant fait un VRAI film -un truc sorti en salles ! Merci, Papa.
Vient ensuite le Black à l’américaine - votre mascotte, le Will Smith, le mec le plus cool de l’école, et sans doute du monde. Il est drôle, il est talentueux, et tout le monde l’adore, y compris vous. Pendant que vous vous morfondez le soir sur votre canapé, il réalise désormais des clips de rap aux Etats-Unis, et vous vous dites que putain, vous auriez du vous mettre au hip hop, vous aussi.
Mon Dieu, pour un peu, on croirait que j’ai étudié à l’UCLA – rassurez-vous, je vous ai présentés les deux seuls phénomènes plus ou moins exotiques. Le reste est on ne peut plus français...
Votre petite bande compte donc un nécrophile de compétition – soit dit en passant, vous l’appréciez beaucoup. Toutefois, vous ne pouvez nier que ses créations sont à mille lieux de faire rêver, et que son film de fin d’études tend sérieusement vers la pédophilie. Combinée à la nécrophilie, attention. C’est plus sympa, quoi.
Dans la même collection « joie et amour », nous avons également le dépressif à tendance gothique, prêt à disserter pendant de longues heures sur des thèmes joviaux et entraînants tels la douleur. Il est plutôt silencieux, pour ne pas dire qu’il est quasiment invisible, et vous le soupçonnez secrètement de sacrifier des poulets dans un donjon, le soir.
Toutefois, là où certains sont discrets, d’autres ont besoin de s’exprimer plus bruyamment. Ces petits génies s’estiment être des réalisateurs accomplis, avec un « univers », des choses à dire, j’en passe et des meilleures. Des mecs prêts à outrepasser les règles du jeu pour assouvir leur soif de reconnaissance, prêts à acheter une pellicule supplémentaire en douce pour réaliser leur chef d’œuvre. Ha, ha ! Sur le coup, vous les avez haïs, ces prétentieux. Vous aussi, vous vouliez que le prof’ d’histoire de l’art se branle sur votre jambe. Au final, vous ne vous rappeliez plus de leur nom il y a encore deux jours…

Je pourrais encore disserter un peu sur le rebelle tendance anarchiste ou le provocateur à la Gaspar Noé, mais vous en arriveriez à penser qu’aucune fille n’ose se frotter à ce noble métier. Que nenni ; je gardais simplement le meilleur pour la fin.
Les filles ne sont certes pas majoritaires, et c’est sans doute la raison pour laquelle elles tiennent à marquer les esprits. Il va sans dire que leur travail vous touche tellement…

Non, sérieusement : vous ne m’avez pas crue, hein ? Parce que moi, le clitoris des autres, je n’en ai pas grand chose à faire, en fait.
Je vous présente donc notre candidate numéro un, la vieille fille coincée. Oh, elle n’est pas vieille du tout, mais je ne trouve pas de meilleur terme. Elle a besoin d’exprimer son rapport chaotique au sexe, d’explorer son corps à l’écran et de comprendre pourquoi, bon sang, elle n’arrive pas à jouir. Son film de fin d’études implique bien sûr une jeune femme nue face à un miroir et vous, vous vous demandez ce que, franchement, vous foutez là. Vous avez pour règle d’or de ne jamais sortir avant la fin d’un film, et de ne jamais vous endormir. Là, elle a fait fort, parce que vous piquez du nez pendant un court-métrage, et que vous aimeriez partir en courant.
Face à cette créature prude, diaphane et enfouie sous de longs gilets et autres lunettes à écaille (c’est, en tous cas, la triste image qu’elle vous renvoie) se dresse la candidate numéro deux. Son parfait opposé. La fille que les trois-quarts des techniciens de l’école rêvent de côtoyer dans l’obscurité d’une salle de montage. Elle est boooonne, elle est bronzée, toute fashion et surtout, surtout, dotée de la plus grosse paire de seins de la section réa. Vous la voyez comme une mante-religieuse, prête à tout (brrrr). Elle est suffisamment culottée, en tous cas, pour oser plagier une scène cultissime de Godard dans son film. Pour vous – et pour la moitié de l’école, cela revient plus ou moins à, passez moi l’expression, laper les couilles du jury. C’est tellement énorme, tellement hypocrite, que vous ne pensez pas une seconde que qui que ce soit puisse tomber dans le piège. Perdu. C’est à vous arracher les cheveux.

En même temps, je suis probablement, moi-même, un autre cliché, sans compter que je ne fais sans doute pas mieux qu’eux. On me catégoriserait, j’en suis sûre, les doigts dans le nez. Grosse geekette. Pauvre copie de Dawson (en plus, je l’ai toujours détesté, ce naze. Dire que lui aussi, il avait l’affiche du Monde Perdu dans sa chambre… arg !) Entre autres.


Alors, prêts à raquer plus de six mille euros par an pour vous faire des amis ?


Que vous le croyiez ou non, je respecte le travail de chacun. Mais je ne cache pas que tout ce cinéma me fera toujours mourir de rire…

En attendant, une chose est sûre : je continuerai à me prostituer s’il le faut !

samedi 1 mai 2010

Et ils vécurent heureux, et eurent beaucoup de DVD

Depuis que vous avez neuf ans, tout le monde sait que votre passion, c'est le cinéma, et que vous comptez bien en faire votre métier.

Attention, digression.

Dimanche après-midi. Vous avez neuf ans ; vous êtes attablée chez vos grands-parents, le bouton de votre jean gît sur le sol à trois mètres de là. La conversation se porte sur le cinéma, et la critique avertie que vous êtes déclare que vous avez très, très envie de voir le film avec des dinosaures qui vient de sortir - parce que, tout de même, le Journal de Mickey a fait tout un dossier dessus, et a dit que c'était super.
Les adultes sont intéressés aussi (le dernier Spielberg, ce n'est pas rien), et, ni une ni deux, votre grand-mère va chercher le journal pour jeter un œil aux horaires des séances. Le film est dans moins d'une heure, il va falloir se dépêcher, mais votre famille décide de tenter le coup.

Vous vous rappelez être assise au sous-sol, en train d'enfiler vos chaussures, surexcitée à l'idée d'y aller ; vous collectionnez les images Panini sur les dinosaures et vous voulez, alors, être paléontologue : ce film est fait pour vous. Ajoutons à cela que toute la cour de récré en parle (il y a des gens qui se font manger dedans!) et que vous allez échapper à la sacro-sainte promenade dominicale autour du lac : c'est décidément la fête.

Vous voilà partie, accompagnée de votre sœur, de votre mère et de votre grand-père; vous arrivez en retard au cinéma, bien entendu, et vous retrouvez donc placés tous les quatre au premier rang, dans la grande salle. Heureusement, le film n'a pas encore commencé.

« Qu’est-ce qu’il y a là-dedans, King-Kong ? »

Autant être franche : m'a mère m'a caché les yeux pendant les scènes trop sanglantes, et je les ai fermés toute seule, tant j'étais morte de peur, pendant la séquence de la cuisine. Mais cela n'a gâché en rien l'effet que le film a produit sur moi - c'était incroyable, c'était prodigieux, c'était fantastique, et oh mon Dieu, j'aimais le cinéma.
Je voulais faire du cinéma.
Je veux faire du cinéma.

Donc.


Tout le monde vous soutient dans cette démarche insensée... même après le collège. Vous êtes, dans l’esprit de vos proches, le cinéaste de la bande. Pour le meilleur, et pour le pire... Cela dépend de quel point de vue on se place !

Et, depuis le début, vous faites des promesses sincères à vos amis, à votre famille, au fils de la coiffeuse. Oui, ils participeront à vos films ; bien entendu, vous nommerez les filles directrices de casting, afin qu'elles puissent rencontrer leurs idoles. Vous foulerez les tapis rouges ensemble et révolutionnerez le cinéma avec les passionnés. Et vous offrirez une voiture incroyable à votre père (avec un gros nœud rouge dessus, cela va de soi).

Tous ces fantasmes sont relativement innocents ; la plupart de vos proches ne pensent probablement même pas que vous y arriverez, et aiment simplement rêver avec vous. Pour autant, vous êtes sincère quand vous évoquez tout cela, et vous vous feriez une joie de partager le bonheur d'un tournage avec ceux que vous appréciez, ou simplement de donner un coup de pouce à quelqu'un de méritant.

Mais... il y a un mais. Une autre promesse.

Vous avez toujours promis à vos amis, depuis le collège, que vous réaliseriez leur film de mariage. Et cela vous paraissait tellement, tellement loin. Le mariage. Ha, ha, ha!
Vous n'êtes pas très portée sur la chose, et, de nature plutôt immature, cela vous paraît toujours aussi improbable qu'à l'époque du collège.

Alors, quand certains de vos meilleurs amis vous annoncent qu'ils vont se marier, que vous avez l'insigne honneur d'être témoin, et, last but not least, que la réussite d'un film de mariage grandiose vous incombe, une petite lumière rouge s'allume dans un coin de votre cerveau.

BIP ! BIP ! BIP ! ALERTE ROUGE !



Tu parles. « Je suis extrêmement touchée, vraiment, je… je ne sais pas quoi dire… C’est un grand honneur… »


Ce n'est pas que vous doutiez de vos capacités, non ; vous êtes sincèrement flattée, en plus. Ce serait plutôt que, à l'époque où vous vous êtes engagée, il y a des années de cela, vous imaginiez que vous aviez largement le temps. D'ici à ce que vos amis se marient, vous seriez réalisatrice, vous auriez une équipe et surtout, surtout, du matériel. Du bon matériel.

Voici donc à quoi vous vous exposez, à clamer depuis toujours que vous êtes la reine de la caméra. C'est malin…

Toutefois, vous prenez cela comme un défi : vous aimez vos amis et vous voulez leur offrir ce cadeau! Hop, vous empruntez donc des caméras à droite à gauche (c'est à dire aux autres invités. Des caméras mini-DV. Vous n'empruntez pas de caméras professionnelles à des boîtes de production, voyons!), vous essayez de réfléchir à un angle d'attaque, vous pensez cadre, son, c'est bien simple, vous êtes au taquet.

Oh, bien entendu, tout ne se passe pas sans couacs : personne n'a l'idée de vous prévenir quand la pièce-montée géante va faire son entrée. La moitié des gens que vous comptiez interviewer pour les mariés parvient à vous esquiver et à se faire la malle avant d'avoir été immortalisée sur la bande. Bande de traîtres.

Le plus grand moment, c'est quand votre associé quitte la cérémonie en mairie un peu avant tout le monde, pour aller se préparer à la sortie des mariés (oui, rappelez-vous, vous êtes témoin, vous ne pouvez pas bouger, là). Le cadre est posé, ça va être le clou du film. Vous voyez de quoi je parle : radieux, les mariés sortent sous une pluie de riz, les parents pleurent, tout le monde est heureux et en plus, il fait beau. Pour un peu, on se croirait dans un film avec Jennifer Lopez.

Tout se passe comme prévu, et vous êtes déjà en train de chercher sur quelle musique vous allez monter cela. Votre partenaire filme, fait des cadrages de folie, n'hésite pas à s'agenouiller et à courir partout pour saisir toute l'émotion de l’instant. Un grand moment, quoi.
Dommage qu'il ait oublié d'enregistrer.

Quoiqu'il en soit, je vous conseille de vous charger du film de mariage. Votre position de cinéaste vous sauvera en effet la vie plus d'une fois - ça, je peux vous le garantir. Parce que, quand arrive le moment du "jeu où l'on doit enrouler sa moitié dans du papier toilette", vous êtes bien contente de décliner en disant que ah, non, merci, vous ne pouvez pas, vous filmez, là.
L'excuse (qui n'en est qu'à moitié une, finalement) peut également s'avérer remarquable au moment du bal. Vous ne serez pas obligée de danser avec des vieux oncles lubriques à moitié ivres, ou d'essayer de comprendre pour la vingt-cinquième fois les pas du Madison (brrr). Ou juste de danser tout court, en fait.

Ensuite, quand vous aurez survécu au marathon, il vous restera simplement à monter les dix cassettes. D’une heure chacune.
C’est là tout l’avantage d’être au chômage, mine de rien : vous avez l’occasion de passer des semaines sur votre canapé, penchée sur votre ordinateur - qui, étrangement, vous crache au visage avec un bel écran bleu neuf fois sur dix, quand vous lancez le logiciel de montage…

Vous aurez le dos en compote et les yeux semblables à ceux d’un lapin myxomatosé, c’est indéniable, mais vous serez tellement fiers.

En revanche, un dernier conseil pour la route : même si vous voulez faire au mieux, même si les raccords sont impossibles et que vous voulez camoufler vos boulettes… évitez d’y passer des mois. Parce que, venu le moment de la distribution des DVD, vos amis risquent d’annoncer un heureux évènement à venir et là, votre labeur acharné passera totalement inaperçu.

Comme si un bébé valait plus qu’un film – dans quel monde on vit, tout de même !