jeudi 23 mai 2013

LE MOMENT LE PLUS HUMILIANT DE TOUTE VOTRE VIE

Du moins, c’est ainsi que vous le prenez, là, tout de suite, maintenant. Vos mains en tremblent encore – de rage, d’effroi, de désespoir. Vous avez envie de fracasser votre chaise sur le comptoir devant vous puis de vous rouler en boule pour pleurer.

Vous travaillez comme hôtesse pour la semaine – un remplacement, comme d’habitude. Et vous êtes là, assise derrière votre comptoir, dans votre putain d’uniforme, les cheveux attachés (il est de notoriété publique que vous ne ressemblez à rien avec les cheveux attachés), quand deux visiteurs se dirigent vers vous. L’homme prend la parole, et vous ne prêtez donc pas attention à la femme qui l’accompagne ; vous notez son nom dans le registre, puis demandez le nom de sa collègue.
« Mme Malcolm », vous répond-il. Oui, bon – il va sans dire que vous n’allez pas donner le vrai nom de la personne en question. Autant le remplacer par un nom qui met de bonne humeur, comme celui d’un personnage de Jurassic Park – au hasard…

Mme Malcolm ? Vous la regardez.
OH. MON. DIEU – la désormais célèbre tirade de Lambert Wilson dans Matrix Reloaded résonne dans votre tête. Nom de Dieu de putain de bordel de merde de saloperie de connard d'enculé de ta mère. Et c’est un euphémisme.

Vous étiez au collège avec la jolie Mademoiselle Malcolm, qui habitait à environ cinq cent mètres de chez vous. Elle était en sixième quand vous étiez en troisième et surtout, surtout, vous avez été désespérément, irrémédiablement, abominablement folle amoureuse de son grand frère. Pendant des siècles. Votre première bluette adolescente – le truc typique, vous aviez treize ans, il en avait quinze, vous appeliez chez lui avec vos copines juste pour entendre sa voix et vous vous imaginiez qu’avec un peu de chance, vous partiriez en croisière avec le collège et que vous tisseriez des liens à la proue d’un bateau. Votre premier amour, naïf à souhait, niais au possible, absolument sans espoir (vous portiez des pantalons turquoise, tout de même, et même des pantalons FUSEAU), mais votre premier amour !
Le temps a passé ; vous avez grandi, vous vous habillez avec goût – du moins vous semble-t-il, vous avez aimé mille garçons depuis (façon de parler, cela va sans dire), et vos fantasmes sont un peu plus sauvages et… sympathiques. Mais vous n’avez jamais oublié M. Malcolm – comment le pourriez-vous ? Le pauvre garçon a sans doute contribué à développer votre imagination…

Aussi piquez-vous un fard quand vous reconnaissez la demoiselle, et qu’elle semble vous reconnaître. Vous ne rougissez pas en souvenir des innombrables fois où vous avez vu son frère complètement nu (dans vos rêves, donc) ; non, vous rougissez parce que cette fille, qui vous aimait bien, qui parlait de vous à son grand frère, avec qui vous avez mangé au self, traîné dans la cour de récré, rigolé, joué les grandes sœurs, eh bien cette fille est en face de vous, jeune, jolie, la bague au doigt, consultante en management, et cette fille DOIT AVOIR PITIE.

Vous n’avez qu’une envie, c’est de vous lever, de faire de grands gestes et de crier « non mais je suis réalisateur, en fait !! »

Que les choses soient claires – le mariage ne vous intéresse pas, et vous n’avez pas envie d’être consultante en management. Mais, le coup de vieux mis à part, vous vous sentez sale, bête, moche, ratée.
Oubliés, le bac scientifique, le diplôme de technicien supérieur de l’audiovisuel, le Master of Arts. Oubliés, les concours de scénario gagnés, les clips à six-cent mille vues, votre prochain tournage dans une semaine, les gentils lecteurs qui parcourent votre modeste blog.
Là, vous êtes une potiche derrière un comptoir.

Vous avez envie de disparaître sous le bureau. Sous terre. Ou même de changer de galaxie.

Vous avez envie de lui crier « ne raconte pas ça à ton frère ! A tes parents ! A notre ville!».

Vous qui avez toujours refusé d’être serveuse ou vendeuse, de peur que l’on vous reconnaisse… EH BEN C’EST LE POMPON !

Et accessoirement, un hasard extraordinaire.

Maigre consolation : vous n’êtes pas seule. La grande majorité de vos amis saltimbanques ne vit pas non plus de son art.
Des amies actrices sont animatrices de goûter d’anniversaires ; déguisées en pilote de course ou en reine Amidala, elles supportent des gosses de riches avec gâteaux d’anniversaire à leur effigie et liasses de billets dans leurs mini-costumes.
Un ami acteur, en costume trois-pièces, travaille à l’accueil d’une banque de luxe.
Une amie maquilleuse travaille comme vendeuse pour un magasin de sport ; l’autre officie à l’administration d’un centre de loisirs.
Une amie scripte est standardiste.
Un ami décorateur travaille dans une chaîne de restaurants.
Un ami réalisateur a un travail de bureau chez un constructeur automobile ; un autre confectionne des hamburgers ; un troisième peaufine son scénario de long-métrage tout en travaillant pour une grande chaîne de cinémas.
Un ami chanteur travaille au service après-vente d’une société de portes de parking ; son agent est policier municipal.
La liste pourrait continuer encore, et encore, et encore.


Un jour, au lycée, après avoir perdu un concours de scénario avec une amie, celle-ci a décrété que le monde « n’était pas prêt à accueillir l’immensité de votre talent cinématographique ».

Mouais.
On ne vous ôtera pas de l’esprit que le destin est quand même un sacré petit comique.

Comme dirait Dan Akroyd dans Evolution : mille sabords de couilles de pute.


lundi 6 mai 2013

Les copines.

Votre job (purement alimentaire, faut-il le préciser) d’hôtesse d’accueil vous déprime ; vous avez régulièrement l’impression d’avoir été parachutée dans un épisode de la série «Sophie et Sophie».
Vos collègues sont très gentilles avec vous, certes ; en revanche, les heureux employés qui leur demanderont un service seront rapidement taxés d’enculés et de connasses. Que vous êtes bête – on ne paye tout de même pas les gens pour travailler…

Le problème, c’est cette ambiance de filles. Il n’y a rien de pire que les filles au travail, c’est un fait universel. Oh, bien sûr, il en existe, des demoiselles sympathiques et sincères, des filles simples avec qui l’on ne se prend pas la tête ; mais que celui qui n’a jamais travaillé avec des pestes me jette la première Guinness. Il faut bien admettre que les filles, surtout entre elles, peuvent être des êtres particulièrement détestables. Même si elles s’aiment très fort.


Elle : C’est quoi ta taille ?
Vous : En haut ? 38 ou 40, ça dépend des marques.
Elle : On pourrait essayer des costumes sur toi ? Ce serait mieux que sur le mannequin.
Vous : Pas de problème.

Déshabillage. Habillage. Zip.

Elle : Ah, super. C’est parfait. Tout à fait ça. UN BON 42 !
Vous : ….
Elle : Ah oui oui, c’est bien ça. DOUZE CENTIMETRES DE PLUS QU’UN 38!

Voilà ce qui se passe quand on se propose d’aider une (jolie) amie costumière – on s’expose à de délicates réflexions sur sa taille de vêtements (qui n’a jamais été supérieure à 40, que justice soit rétablie. Même si un réalisateur respectable se doit d’être bedonnant. Et oui, vous aussi vous pouvez être mesquine).

Les histoires de taille, cela vous fait penser à vos amies actrices. Quand elles ne sont pas occupées à suivre un régime sans gluten, sans sucre et sans protéines de lait (les trois en même temps, oui oui - que vive le brocoli), elles répondent à des offres de casting.
Il se trouve que l’une d’elles a récemment profité d’un après-midi où vous étiez chez elle pour s’isoler un peu afin de répondre à des offres. Depuis une autre pièce. En faisant semblant de réfléchir à voix haute. A voix TRES haute.

« TIENS, UNE OFFRE POUR JOUER UNE PIN-UP DANS UNE PUBLICITE ! JE VAIS POSTULER PARCE QUE J’AI UN CORPS DE PIN-UP ! »

(frimeuse)

« OH LA LA, ON ME DEMANDE MES MENSURATIONS ! ZUT ALORS, JE NE M’EN RAPPELLE PLUS ! JE VAIS CHERCHER ! »

(si tu crois que je vais commenter ça, tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’à l’épaule)

« AH, LES VOILA, HIHI ! ALORS… MES MENSURATIONS SONT 90 / 64 / 94 ! »

Bien. Et surtout, la prochaine fois, pense à prendre un porte-voix – l’hémisphère Nord n’a pas encore compris à quel point tu étais bonne.


Les actrices, les assistantes de production… ces demoiselles ont déjà eu l’honneur extraordinaire de figurer dans certains articles de ce blog. Mais les photographes, pas encore – les photographes femelles, en l’occurrence.
Comme cette amie, par exemple, à qui vous aviez demandé de vous aider, parce que vous n’arriviez pas à faire grand-chose de votre nouvel appareil photo (un reflex bas de gamme – mauvaise idée). Elle s’est empressée de vous l’arracher des mains en vous expliquant que « il n’y a pas de mauvaises photos, il n’y a que de mauvais photographes »… avant de le reposer discrètement sous la table basse au bout d’un quart d’heure, bien sûr.
C’est vrai qu’il est rassurant, pour une fille, de critiquer les autres – cela permet de se valoriser, physiquement ou en tant qu’artiste.
« Tes photos de Nouvelle-Zélande auraient pu être sympas si tu avais pris le temps de les retoucher ! »
« On va te prendre en photo pour te faire un book. Par contre, enlève-moi ce maquillage de collégienne. »

Hmmmm.

L’avantage, c’est que les actrices, aussi étranges, folles ou imbues d’elles-mêmes qu’elles puissent être, seront en revanche toujours gentilles avec vous. Forcément.
Ce n’est pas très pratique, c’est sûr, quand vous leur demandez leur avis sur votre dernier scénario, que vous peaufinez depuis des jours ; couverte de sueur, le bout des doigts brûlés par les appuis répétés sur les touches du clavier, vous soufflez pour écarter les mèches de cheveux qui vous tombent dans les yeux et, encore prise d’une sorte de frénésie, vous vous empressez d’envoyer la bête à vos interprètes préférées, en quête d’un avis objectif et de critiques constructives.
Réponses immuables : c’est génial, c’est fantastique, c’est trop drôle, c’est excellent. EH BIEN CA FAIT VACHEMENT AVANCER LE SCHMILBLICK.


Tiens, votre collègue vient de se manifester, râlant ainsi pour la quarante-huitième fois de la journée.
«Putain mais comment je fais pour rester avenante alors que j’ai envie d’insulter les gens?»
«Je vous préviens, après dix-sept heures je ne réponds plus au téléphone.»


Les filles, c’est chouette.


(il va sans dire que vos amies risquent fort de ne pas apprécier ce billet. Mais vous trouviez cela tellement drôle... vous n’aviez même pas de viles intentions! Sans compter que vous ne citez pas de noms. Mais prions quand même tous ensemble qu’elles ne tombent jamais dessus - leur vengeance serait terrible.)