mercredi 14 juillet 2010

Youkaïdi, youkaïda

Je n’ai jamais pris de drogue, et je ne compte pas essayer – je laisse cet acte pathétique aux faibles, si vous me pardonnez de l’exprimer en ces mots.
En revanche, je pense pouvoir dire que l’état euphorique dans lequel je me trouvais vendredi soir était relativement similaire à celui que l’on éprouve après s’être enfilé un bon gramme de coke. Et encore… !

Vendredi neuf juillet de l’an de grâce deux mille dix. Il est environ vingt-deux heures et je cours au ralenti dans de vertes prairies, chantant, dansant et virevoltant, le cœur empli de joie et d’allégresse. Je suis Maria Von Trapp dans la « Mélodie du Bonheur ». Pire encore, je suis Shahrukh Khan dans « Veer-Zaara ».
Bon, en fait, je suis sur un trottoir parisien, et il fait bien trop chaud pour sauter en l’air.
Pourtant, non, non, pas de coke, même pas un petit champignon.

Je viens de rencontrer M. Night Shyamalan !


Commençons par le commencement. M. Night Shyamalan a réalisé certains de mes « films préférés de tous les temps ». Mais, comme si cela ne suffisait pas, il sait faire ce truc bizarre, vous savez… Il met un bout de vous dans ce qu’il fait. C’est viscéral, cela ne s’explique pas. Vous voyez un film et ce film, c’est vous. C’est presque de l’ordre de l’intime, en fait – vous êtes touché parce que ce qui se passe à l’écran, c’est ce qu’il y a au plus profond de vous.
Bon, si je veux faire péter l’audimat, je peux dire que oui ! J’ai été violée par M. Night Shyamalan. Et pas qu’une fois.

Bref. M. Night Shyamalan était donc en master class à Paris, à la suite de l’avant-première de son nouveau film, « Le dernier maître de l’air » (on ne rigole pas). Même après avoir vu « Phénomènes », comment rater ça ? Ni une ni deux, hop ! J’avais acheté mon billet. A un prix astronomique, il faut bien le dire – putain de 3D.
Ayant décidé de m’abstenir d’écrire des critiques de films sur ce site (on n’est pas couchés, sinon. Et puis, accessoirement, j’ai une vie sociale), je passerai donc directement à la rencontre.

TADADAAAAA !

Il arrive. Vous ne trouvez pas qu’il ressemble à Michael Jackson jeune, vous ?
Bon sang. Ce qu’il a l’air jeune, d’ailleurs. Vous avez vraiment intérêt à vous magner le cul pour faire du cinéma.

Vous manquez de défaillir quand, à peine assis, le monsieur vous annonce que ses producteurs, Kathleen Kennedy et Frank Marshall, sont assis là, au premier rang. Ainsi que l’un de ses acteurs principaux. Quel acteur, déjà ? On s’en fout – KATHLEEN KENNEDY ET FRANK MARSHALL. Mille sabords de couille de pute !
Ce sont simplement des amis de Die… euh, de Spielberg. Et puis, ce n’est pas comme s’ils avaient produit une bonne partie des films cultes de votre enfance. Tout va bien, donc. On reste zen.
Et c’est parti pour le fantasme numéro 553 642. Le film se termine, tout le monde se jette sur Shyamalan, ignorant ses producteurs. Vous y allez, désireuse de leur serrer la main, de les remercier, de leur dire ce qu’ils représentent ! Vous engagez la conversation et, bien entendu, le courant passe à merveille. Ils prennent votre carte et… non, mieux – ils vous proposent directement un job de porteur de café.

Retour à la réalité.

Les minutes qui suivent se déroulent comme dans un rêve. Enfin, les minutes… une heure ? Deux heures ? C’est comme faire l’amour, finalement – tellement bon que vous n’avez aucune idée du temps que ça dure.
NB : bien entendu, je ne suis pas COMPLETEMENT irrécupérable, et le lecteur intelligent aura compris que je m’exprime rarement au premier degré (mais c’était vraiment bien, quand même… bon, d’accord, je me tais).

Indubitablement, le meilleur moment arrive lorsque c’est au public de poser des questions. Parce que parler placement de caméra, direction d’acteur et écriture, c’est délicieux, mais rien ne vaut une authentique question de geek. Vous savez, un bon gros fan, le genre à se pointer à une convention « Star Strek » avec son t-shirt de la série, et qui va tenir à prendre le micro pour signaler que dans l’épisode quarante-deux de la saison huit, lors de la scène quinze à la trente et unième minute, le troisième figurant sur la droite a chié sa réplique – de toute façon, peut importe qu’il l’aie chiée, puisqu’il était techniquement impossible que le générateur de propulsion spatio-temporelle permette au héros d’échapper aux Klingons avec seulement dix méga-watts d’énergie en stock pour une vitesse inférieure de 0,234km/h² à celle de la lumière. Gnnnn.

« Oui alors euh, tous vos scénarios sont parfaits, mais il y en a un qui n’est pas parfait, un seul, où il y a une grosse erreur – en fait, dans « La jeune fille de l’eau », l’écrivain demande à Story pourquoi le petit garçon qui doit sauver le monde n’est pas venu le voir, mais il ne peut pas venir le voir parce que son livre n’a pas encore été publié, et donc ça ne marche pas ».

Non, ce n’était pas moi – hors de question de poser une question si ce n’est pas LA meilleure question du monde. Donc, je me tais. Mais, en l’occurrence, j’ai bien rigolé – comme le reste de la salle. Il fallait voir la tête de la traductrice, qui essayait vainement de retranscrire les propos du dévoué fidèle. Shyamalan, quant à lui, n’a pu s’empêcher de demander, pour la question suivante, si l’on allait lui dire qu’il y avait un problème à la troisième ligne du scénario de tel film. Mais c’est qu’il a de l’humour, en plus ! Quel homme.

Mais vous connaissez les dures lois de ce monde – tout ce qui est bon ne saurait durer éternellement. Aussi les attachés de presse et autres illustres inconnus, se sentant investis d’une mission divine (en même temps, ils sont visiblement bien plus que riches que le public de pauvres fans que nous sommes, donc ils font la loi – logique) s’empressent-ils de pousser le Prophète vers la sortie. L’intéressé semble pourtant chaud-bouillant, parti pour des heures, mais que voulez-vous…
Shyamalan va partir.

En règle générale, vous jouez les blasées. Courir après un autographe : quel intérêt ? Prendre une photo ? A la limite... vous essayez toujours de rester digne et de ranger vos pulsions de cinéphiles au placard.
Mais là, vos pieds refusent de se diriger vers la sortie. Vous êtes totalement bloquée. Vous ne pouvez pas le laisser partir comme ça. C’est Shyamalan, merde ! Vous vous approchez doucement de la mêlée, que dis-je, du cocon humain qui entoure le réalisateur. Difficile de trouver une ouverture pour lui parler… Il est en train de signer une avalanche d’autographes, tout en répondant à de très sérieuses questions. Niveau intimité, on repassera. Mais c’est Shyamalan, et vos pieds sont très, très têtus. Vous approchez encore et vous vous retrouvez prise dans la vague humaine, poussée vers lui – pourquoi lutter ? C’est votre destin !

Il vous regarde pendant une fraction de seconde, alors votre bouche se met aussi à fonctionner indépendamment de votre cerveau, et vous le saluez. Votre main, qui a décidé d’entrer en rébellion à son tour, plonge dans votre sac pour y trouver votre fidèle carnet à tout faire, qu’elle ouvre en plein milieu, sur la première page blanche qui passe. Puisque que votre idole semble être en phase de signature, autant en profiter – vous lui tendez votre carnet. Enfin, c’est un coup de votre main, encore, parce que votre cerveau a plus ou moins abandonné la partie. Il le prend, vous sourit, et vous lui dites avec entrain… « Bon, vous m’embauchez ? »
Si vous commencez à avoir pitié, je vous préviens, arrêtez de lire tout de suite.

Vous êtes bien contente, parce que vous l’avez fait rire. Il vous dit que oui, dès qu’il vient tourner à Paris, il vous embauche. Et votre bouche, qui est décidément trop conne, lui répond : « Mais carrément ! Parce que je veux être réalisateur et… » … Et jusque là, tout va bien. Mais là, vous dites… vous dites… « Je vous vénère ».

Oui, j’ai dit ça. Mais comme je l’avais dit, tout cela a eu sur moi un effet pire que la drogue.
Et puis, second degré, toujours... Ne reste plus qu’à espérer qu’il a compris et n’est pas barricadé dans sa chambre, terrifié par cette fanatique terrifiante qui va peut-être venir le harceler et lui jouer un remake parisien de « Misery ».


S’il y a bien une leçon à tirer de cette histoire, en tous cas, c’est que si vous n’arrivez pas à vous motiver pour apprendre à parler anglais, voyez comme c’est utile, surtout pour sortir d’ineffables conneries aux gens que vous admirez.