samedi 14 mai 2011

Cannes, première (le samedi 14 mai).

Avertissement : ce message ne contenant pas de critiques de films, soit averti, ô lecteur, de son aspect futile et potentiellement inutile. De même, si vous êtes un incorrigible blasé, passez votre chemin : cet article est joyeusement naïf.

Vous vous réveillez avec des fourmis dans le bout de doigts, comme à l’époque de vos études. C’est un signe qui ne trompe pas : cela n’arrive que lorsque vous vous couchez à l’aube, et que vous n’avez pas assez dormi. Trois jours à Cannes et vous êtes déjà un zombie, c’est désolant… Même pas trente ans et déjà un métabolisme de mamie !

Mais qu’avez-vous donc fabriqué ? Qu’est-ce qui vous vaut ces jolies cernes violacées, cette chevelure hirsute et, ouh, tiens, ce teint hâlé ? Que faites vous de vos journées, finalement ? Petit compte-rendu Cannois…

Etape 1 : RENTABILISER.

Votre compte en banque ayant subi une liposuccion très sévère, vous mettez un point d’honneur à rentabiliser votre séjour au maximum. En d’autres termes, vous cherchez à mettre la main sur tout ce qui est gratuit, cadeau, offert, à volonté. La quinzaine a bien commencé, puisque vous avez découvert, en récupérant votre badge, qu’un sympathique sac aux couleurs du Festival vous était offert – sac contenant tous les catalogues et autres livres en papier glacé que le commun des mortels se verra obligé d’acheter une fortune à la boutique officielle. C’est toujours ça de pris, vous dites-vous en sirotant votre bouteille d’eau gazeuse (gracieusement offerte, cela va sans dire). Les grandes marques ayant décidé de mettre le paquet, vous avez également décidé de goûter tous les parfums d’une nouvelle boisson fruitée. Cela vous vaut une magnifique nausée et une envie de vomir persistante pendant des heures. Tant pis… C’était gratuit.

Vous vous servez allègrement dans la presse qui vous est offerte, du magazine gratuit au magazine professionnel de pointe, en passant par la presse people. Vous rentrez chaque soir avec le dos en compote, harassée par le poids de votre sac qui s’alourdit tous les dix mètres, mais au moins, vous avez de quoi lire aux toilettes. Vous récupérez tout aussi joyeusement tous les badges publicitaires ou promotionnels que l’on vous offre – tant pis si vous ressemblez à une femme-sandwich, vous aimez vous sentir gâtée !

Et puis il y a, bien sûr, la plus merveilleuse des inventions : l’open bar. Vous avez la chance de ne pas être seule sur la Croisette, et certains amis ont la gentillesse de vous faire bénéficier des avantages de leur statut (dis comme ça… Non, vous ne connaissez personne de haut placé, cela va sans dire. Mais chacun a ses petites entrées. Merci à eux). Vous avez donc un joli petit carton rose autour du cou vous permettant d’accéder à la plage du Majestic. Plage où, bien entendu, vous ne faites rien d’autres que boire. Des boissons non alcoolisées, bande de mauvaises langues – il fait bien trop chaud dans ce pays, et vous cherchez surtout à récupérer l’eau qui a disparu dans les piscines que sont devenues vos aisselles (qui a dit que ce blog était glamour ?).

Bon, d’accord. Vous avez aussi profité d’un open bar alcoolisé. Hier soir, vous êtes entrée pour la première fois dans une soirée sur une plage privée. On vous a fait PASSER. Vous. La misérable petite chose ne portant même pas de talons ! Alors oui, la soirée était nulle, l’ambiance inexistante, et la moyenne d’âge avoisinait les 70 ans. Mais vous étiez assise sur un canapé au bord de l’eau, avec vue sur le vieux Cannes tout illuminé, et le vigneron derrière le comptoir était fort sympathique. Vous avez donc pu, dans une optique de rentabilisation, profiter de plusieurs coupes à l’œil. Prochaine étape : obtenir gratuitement des choses plus concrètes et durables : stylos ? Porte-clés ? T-shirts ?

Etape 2 : S’ENTRAINER.

Avoir un Oscar ne signifie pas seulement être reconnue mondialement pour un travail de qualité. Cela signifie aussi être capable de traverser un tapis rouge sans trébucher et surtout, sans se jeter comme une hystérique sur la première célébrité venue. Vous pratiquez donc le bain de stars.

Vous avez, pour l’instant, eu la chance de monter deux fois les marches. Le premier soir tout d’abord, pour la deuxième séance nocturne du Woody Allen. Puis deux jours après, pour la présentation du film « Polisse », de Maïwenn. Pour le tapis rouge, c’est raté, cela vous terrifie toujours. Vous êtes ravie et gloussez intérieurement lorsque vous passez les barrières et autres gardes féroces, et que vous remontez la rue jusqu’au Palais sous le regard envieux des passants. Mais une fois arrivée sur cette maudite moquette, vous êtes mal à l’aise. Les objectifs vous ont toujours pétrifiée – le fait que vous vouliez être derrière la caméra n’est pas anodin… Et, même si vous n’êtes personne, vos mains sont moites et vous vous sentez inappropriée en ce lieu saint. Pour cette partie là, il vous faudra pratiquer encore…

En revanche, surprise ! Vous êtes placée dans l’orchestre, au premier rang devant la scène, et non pas au balcon. Et on vous laisse entrer, contrairement à la fois précédente où, malgré votre billet, on vous avait envoyée sans ménagement dans les hauteurs, votre look n’étant visiblement pas encore au point. Surprise encore, un gros producteur français s’installe derrière vous. La salle se remplit, et les sièges voisins se parent d’une multitude d’êtres humains ayant tous l’air de gagner mille fois votre salaire annuel. Vous vous retournez et constatez que, cinq mètres derrières vous, les fauteuils portent les noms de l’équipe du film à venir, ainsi que de bons nombres de célébrités nationales. Nom de Zeus. Si vous sortez vous soulager pendant le film, vous ne passerez pas inaperçue. Vous n’osez donc plus bouger. Vous n’aviez pas compris que vous assistiez à une première. Vous pensiez être la deuxième projection de la soirée.

Tout le monde se met en place et vous sentez presque intégrée… Du moins, vous ne faites pas de gaffe, ce qui est bien votre genre. Un jour, ce sera votre tour, songez-vous en essuyant vos mains pour la vingt-cinquième fois sur votre robe. Vos entrailles émettent d’étranges gargouillis (merci, boisson fruitée immonde et gratuite) qui sont, fort heureusement, noyés dans le son du film. Vous regrettez tout de même votre consommation abusive de jus de fruits – avoir peur d’être prise d’une gastro-entérite fulgurante gâche quelque peu votre bonheur (fort heureusement, il n’en sera rien, et l’honneur de cet article sera sauf).

Le film terminé, vous regagnez doucement la sortie, coincée entre deux célèbres décolletés. Vous restez le plus longtemps possible dans le couloir, laissant les stars défiler à vos côtés, pas impressionnée pour un sou*. La vérité, c’est que vous adorez comparer votre taille à celle des professionnels qui vous frôlent. Vous êtes plus grande que tout le monde, ce qui représente finalement votre plus grand moment de satisfaction. Oui, c’est puéril mais c’est comme ça. Que celui qui n’y a jamais pensé me jette la première bière (gratuuuuuite !).

Vous pénétrez également dans les grands hôtels. Vous ne pensiez pas en avoir le droit – vous imaginiez même plutôt qu’on vous jetterait violemment dehors – mais vous suivez, l’air de rien, votre ami journaliste à travers le dédale de couloirs du Carlton et du Martinez (dont le hall exhale une puissante odeur, étrange mélange entre le désodorisant vanille pour les toilettes et l’eau de parfum pour veille dames. Bizarre). Vous n’avez pas pensé à utiliser l’ascenseur mais, espérant y croiser du beau monde, vous avez inscrit cette activité on ne peut plus ludique à votre programme. Si toutefois vous osez… Mais soyons optimistes, il reste plus d’une semaine.

Vous misez également sur le fait que vous avez donné votre carte de visite à un attaché de presse chargé de vous appeler si soirée il y a. Bon, vous ne misez que moyennement, le dos de votre carte portant en effet la mention «Imprimé gratuitement»… C’est tout vous, ça. Mais au moins, vous n’aurez pas de regrets.

Etape 3 : SHORT FILM CORNER.

Et votre film, dans tout ça ? Il a, pour l’instant, été visionné cinq fois – on ne rigole pas, cela fait plus d’une fois par jour, ce qui est plus qu’honorable… selon vous.

En revanche, difficile de se promouvoir, la guerre des flyers faisant rage dans les couloirs du Short Film Corner. Chaque jour, les murs entiers sont couverts et recouverts, les flyers les moins frais noyés sous la masse. Certaines personnes, peu fair-play, n’hésitent pas à recouvrir tout ce qui bouge, et vous cherchez donc un moyen plus efficace de diffuser vos magnifiques petits papiers glacés. Mais encore une fois, en une semaine, tout reste possible : vous êtes donc priés de croiser vos doigts, vos cheveux et vos poils de barbe pour moi. Merci !


* Le lecteur intelligent aura compris qu’il s’agissait uniquement de stars françaises, et qu’il n’y avait donc pas de quoi être hystérique. Même si vous regrettez un peu de ne pas avoir sauté sur Gilles Lellouche.

mardi 10 mai 2011

Back to the Future.

Votre semaine a consisté en une multitude d’activités toutes plus décérébrées les unes que les autres que n’aurait pas reniées cette pétasse de Carrie Bradshaw. Visite annuelle chez le coiffeur, un détour par le pressing ; vous vous faites les ongles des mains ET des pieds (mille excuses, ô lectorat masculin), et passez une heure à vous épiler les jambes.

Non, vous n’allez pas jouer dans « Bridget Jones 3 » - plutôt dans « Apocalypse Now », en fait : vous retournez au Festival de Cannes !

Pendant que l’infâme machine du diable dévore la chair tendre et diaphane de vos malheureux mollets, vous vous surprenez à rêvasser. Pourtant, vous savez pertinemment que vous n’avez pratiquement aucune chance de repartir avec des contacts ou, mieux, du travail. Vous vous promettez cependant d’essayer de faire au mieux. Après tout, quitte à se ruiner, autant optimiser la chose. Si vous pouviez seulement vous dégoter un petit producteur pour vos deux prochains courts métrages… (A défaut, vous accrocher à la jambe de Jude Law, membre du jury, suffira).

Mais qu’allez-vous donc faire à Cannes ?

Eh bien, il se trouve que, à votre grande joie, votre court-métrage a été accepté au Short Film Corner. Vous avez donc loué un studio avec d’autres apprentis réalisateurs, intérimé non-stop pour essayer de renflouer votre compte en banque d’artiste, et êtes même allée jusqu’à créer des flyers et un site internet pour votre film, qui n’en demandait pas tant. OP-TI-MI-SER !

Vous avez, il faut bien l’admettre, été fort déçue par la réaction de certains de vos petits condisciples. En province, pour votre famille et vos amis, vous avez une chance incroyable, et tous vous envient – vous êtes pratiquement partie sous les vivats de la foule. Alors qu’à Paris… La plupart des festivaliers que vous avez croisés affichent une nonchalance insolente et aiment à décréter, blasés, que « n’importe qui peut aller au Short Film Corner ».
Vous avez horreur, comme toujours, de cet apparent manque de passion et d’enthousiasme, de cette bourgeoisie cinématographique qui ne réalise même plus sa chance. Hé, les mecs – c’est Cannes ! Nous avons tout de même la chance de vivre dans le pays organisateur du plus grand festival du monde (« ce qui compense quelque peu le niveau de la production nationale », pensez-vous en éclatant d’un rire sadique), un fait que beaucoup de cinéastes en herbe péruviens, thaïlandais ou eskimos nous envient probablement. Et puis, allez donc dire à tous ces gens qui passent des heures à attendre derrière des barrières, devant le Carlton ou tout autre misérable endroit où l’on vous fait bien comprendre que vous n’êtes pas invité à la fête, qu’il est FACILE de participer ! De votre point de vue, réunir de quoi réaliser un court-métrage ou mieux, se faire produire, mener le projet à bien et, enfin, dégainer les quelques quatre-vingt-quinze euros nécessaires à l’inscription n’est pas chose facile, non. Vous avez été derrière ces barrières, vous aussi, et vous auriez aimé que quelqu’un triche pour vous en inscrivant son œuvre, et vous crédite en tant qu’actrice dans un film où vous n’apparaissez pas, en tant qu’animatrice dans un film sans animation, tout cela dans le but de vous faire bénéficier d’une accréditation… (oui, le trafic d’accréditation est, vous l’avez découvert, très répandu). Vous ne comprenez pas cette suffisance idiote qui empêche vos congénères de laisser exploser leur joie et de faire la danse de la pluie tous nus en chantant la chanson de la victoire.

Vous avez reçu un email du Short Film Corner expliquant en long et en large qu’être accepté est un gage de qualité, et que vous avez donc obtenu le droit d’apposer le précieux logo sur votre affiche. En somme, cela veut bien dire, tout de même, que votre court-métrage n’est pas un film de vacances amateur. Tout cela, c’est un peu comme le Label Rouge pour la viande, finalement. Vous êtes un beau morceau de viande fraîche, pas un steak haché surgelé de marque distributeur. Non mais oh.

Le fait est que vous êtes ruinée, fatiguée mais hystérique. Même si vous n’êtes que l’un des mille huit cent films courts présentés, et sans aucun doute pas le meilleur, même si vous n’êtes toujours rien, hé bien vous avez une accréditation, un beau badge clamant haut et fort à la face du monde que vous aussi, vous faites partie de tout ça. Alors franchement, on se sort le balais des fesses et on lève les bras : elle est pas belle, la vie ?


(Oh et puis merde. Au moins, il y a la mer !)