jeudi 21 mars 2013

Le coup de fil maudit et autres histoires.

Six mois que vous repoussez un coup de fil. Six mois. Mais vous ne le sentiez PAS DU TOUT !

Pour votre mère, encore un merveilleux contact censé vous apporter la gloire et la fortune – ou, du moins, un emploi dans le délicieux milieu du cinéma.
Pour vous, une épine dans le pied (vous cherchez encore une traduction vulgaire à souhait de l’expression « a pain in the ass »), le plan foireux numéro quatre cent quatre-vingt trois, l’appel passé à contrecœur et qui va ajouter une ligne sur la déjà longue liste de vos obscures activités.
Parce que vous commencez à bien le connaître, ce coquin de sort : là où certaines personnes ont un piston unique qui change leur vie, vous cumulez les fausses pistes et les siphonnés du bulbe. Oh, il y en a, des gens sympas. Mais les gens sympas ET qui vous aideront à pénétrer ce milieu aussi étroit et fermé que l’utérus d’une vieille catholique atteinte de vaginisme, vous n’y croyez plus. Même avec un bon litre de Poppers.
Pour cette année, vous êtes déjà professeur de cinéma (bénévole), et directrice de mémoire (des péripéties qui auront droit à leur article, cela va sans dire). Autant avouer que vous avez atteint votre quota de grand n’importe quoi, et que vous ne souhaitiez pas passer le fameux coup de fil (bon, d’accord, c’est assez calme pour cette année ; on ne vous a pas demandé de faire la captation d’un spectacle son et lumière en plein air pour trois mille personnes, certes).

Accessoirement, vous détestez l’idée d’appeler de parfaits inconnus pour quémander.

Le hic, c’est que forcément, au bout de six mois, votre mère s’impatiente. Le fameux contact, l’ami d’un ami (la bonne blague), attend semble-t-il que vous l’appeliez.
Vous avez pris votre courage à deux mains il y a cinq jours. Inspiration, expiration, inspiration, allez, hop, allô. Une sonnerie. Deux sonneries. Vous commencez à prier pour tomber sur un répondeur.
« Allô ? Ouais, je peux pas vous parler là, je suis en tournage. Rappelez lundi ou mardi ».

Cinq jours plus tard (mercredi, donc, parce que vous avez, bien entendu, repoussé l’échéance au maximum)… Une sonnerie. Deux sonneries. Un répondeur, par pitié…
« Allô ? Ouais, vous m’avez déjà appelé vendredi… Mais je suis en ligne là, vous pouvez rappeler dans dix minutes ? »
Hey ! Vous avez une super idée à proposer – un concept novateur et d’une modernité résolument renversante : SI TU NE PEUX PAS PARLER, NE REPONDS PAS A TON PUTAIN DE TELEPHONE. Merci.

Dix minutes plus tard, le type finit par vous rappeler ; cela vous évite au moins l’humiliation d’un troisième appel avec présentation maladroite à la clé. C’est, du moins, ce que vous pensez sur le moment ; ce coup de fil va, en effet, s’avérer être un sérieux concurrent à la Palme d’Or de la conversation catastrophique.
Votre interlocuteur ne sait pas quoi vous dire, ne sait pas quoi faire pour vous, n’assimile pas qui vous êtes et ce que vous faites (« Non, je ne suis PLUS étudiante » devra être répété pas moins de trois fois) et surtout, surtout, marque des silences ahurissants pendant lesquels il finit lui-même par dire « Allô ? », pensant que la communication a été coupée.
Vous, essayant de détendre l’atmosphère, décidez de la jouer super cool ; or, vos pathétiques tentatives d’humour et de rires intelligents ne ressortent que sous la forme de gloussements gênés et ridicules. Vous vouliez passer pour une femme raffinée faisant de l’esprit avec un porte-cigarette entre les doigts, dans un film en noir et blanc, et vous êtes pratiquement sûre que vous apparaissez plutôt comme Bridget Jones dans un de ses mauvais jours. Vous imaginez votre interlocuteur roulant des yeux, pensant avoir affaire à une crétine qui ne travaille sans doute pas du fait de son léger retard mental.
Sérieusement, que voulez-vous dire lorsque la personne que l’on vous force à contacter et qui « attend votre appel » se borne à vous répéter « je n’ai pas de travail pour vous, qu’est-ce que vous attendez de moi ? ».

Le type – pas méchant, au demeurant, simplement à côté de la plaque – note finalement votre numéro, et vous promet de vous rappeler pour une éventuelle rencontre.
C’est cela, oui.
Et demain, il va pleuvoir des licornes qui chient des burritos.


Pitié. Est-ce trop demander que d’avoir affaire à une personne normale, pour un entretien normal, pour un travail un tant soit peu intéressant ? Combien de rencontres ahurissantes vous faudra-t-il endurer pour pouvoir enfin avoir la chance de trouver un poste dans votre domaine ?
Vous rêvez d’une rencontre où l’on ne vous regardera pas comme la dernière des demeurées parce qu’à vingt-neuf ans, vous n’avez jamais eu le statut intermittent. Où l’on ne vous prendra pas de haut parce qu’à votre âge, et malgré vos prétentions, vous n’avez jamais travaillé sur un long-métrage. Une rencontre où l’on ne vous insultera pas quand vous dites que vous n’avez pas le permis de conduire.

Ah, oui, digression – le fameux papier rose.
Chaque entretien est une humiliation, et le permis de conduire en est parfois l’étourdissante apothéose. A presque trente ans, ne pas avoir le permis de conduire, si vous en croyez les réactions diverses et variées auxquelles vous avez droit, c’est pire que d’être vierge, ou illettrée ; c’est encore pire que si vous n’aviez pas le bac. Si vous n’avez pas le permis, vous êtes assurément une handicapée moteur (sans mauvais jeu de mot), une attardée mentale, un légume bavant et incapable de mener une vie autonome.
Vous savez aligner deux mots, vous avez le bac, vous pouvez vivre seule et votre vie sexuelle va très bien, merci. De quel droit un parfait inconnu vous juge-t-il ? Vous n’avez pas à lui exposer votre situation financière ou vos choix de vie. Vous n’avez pas à vous justifier… ce que vous terminez immanquablement par faire, en baragouinant de pitoyables excuses derrière votre café.
Eh bien vous êtes navrée, mais étant donné les difficultés que vous avez à mettre de l’argent de côté, il vous est difficile, quand vous avez sauvé deux mille euros, de les utiliser dans le seul but de passer trois heures dans les encombrements parisiens, afin d’aller chercher un acteur en bas de chez lui pour l’emmener en tournage du côté de Melun, Meaux ou Dieu sait quelle ville dortoir de la grande banlieue n’ayant aucune raison d’exister, si ce n’est de faire damner toute personne désireuse de se rendre sur un tournage. Etrangement, vous préférez acheter un billet d’avion avec, quitte à vous faire insulter par un intermittent arrogant qui a décidé que vous aviez une tête de conne juste parce que vous étiez polie.

(Rhaaaaa. Ca fait du bien.)

La vérité, c’est que vous n’y croyez plus vraiment. Vous ne travaillerez jamais dans une boîte de production sympathique. Vous ne serez jamais deuxième ou troisième assistante réalisateur, en charge des figurants. Votre seul espoir, c’est de réussir à vous frayer un chemin dans le clip ou le court-métrage, et de réaliser un film institutionnel de temps à autres. Mais pour l’instant, ce dont vous avez l’impression, c’est que vous êtes tout autant cinéaste que la caissière du Monoprix ou la serveuse du McDo.


(Pardon, ô lecteur, pour cette longue complainte cinématographique même pas drôle. Cet article n’était pas prévu, mais votre journée a été particulièrement longue et riche en mauvaises nouvelles. Le prochain billet sera plus fun, c’est promis !)

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