lundi 15 mars 2010

L’Ecole des Fans (1)

Vous avez votre bac et ça y est, c’est sûr, c’est décidé, vous voulez suivre des études de cinéma.
Vous avez la chance d’avoir des parents qui croient en vous et qui, ne doutant pas une seconde de votre futur glorieux et de vos capacités de mini-Spielberg, sont prêts à vous payer une école.
Une école de cinéma. Pour vous, petit provincial, ce mot sonne presque comme « Hollywood ». Vos amis vont aller à l’université du coin, et vous, vous allez à Paris, faire du cinéma. C’est comme si vous étiez déjà dans le métier. Vous êtes sur un petit nuage !

Appâté par une belle brochure sur papier glacé, remplies de photos absolument extraordinaires (un jeune derrière une caméra ; un jeune devant une vieille table de montage ; un jeune à la cafétéria) et de mots clés qui vous laissent rêveur, tels « plateau » et « tournages », vous vous inscrivez au concours.


Le concours

Les yeux plein d’étoiles et la peur au ventre, vous arrivez à Paris ; si vous avez de la chance, un ami sera là pour vous guider au long de votre périple à travers l’Ile de France. Car atteindre l’Ecole n’est pas chose aisée pour le petit Padawan du métro que vous êtes – cela nécessite une, puis deux lignes de métro. Qui aboutissent à une ligne de RER. Qui, après une quarantaine de minutes en rase-campagne, vous dépose au milieu de nulle part (pour vous, il s’agit toujours de Paris). Vous embarquez alors pour un quart d’heure de bus et hop ! Vous y êtes. Rien de plus simple…
Bien entendu, vous vous êtes laissé transporter, fasciné que vous étiez (« Incroyable, les gens dorment dans les transports en commun ! ») ; en votre for intérieur, vous savez que vous n’arriverez jamais à rentrer tout seul. Mais ce n’est pas grave ; enthousiaste et le cœur léger, vous pénétrez dans votre nouveau lieu de culte.

Les épreuves du concours vous paraissent plutôt simples ; culture générale, rédaction d’une note de synthèse, les heures passent et vous êtes rassuré : on ne vous demande pas de définir le mot « diégèse » (vous aviez potassé dans le train, au cas où) ou de parler d’Ingmar Bergman.
Votre confiance en vous s’effrite quand un méchant monsieur vient vous sermonner, pendant une épreuve, devant toute la salle. Vous qui étiez là incognito, c’est râpé. Vous êtes tellement surpris que vous mettez un certain temps à comprendre ce que l’on vous reproche : vous avez péché, vous êtes un criminel, car vous osez venir passer un concours sans avoir jamais mis les pieds à l’école pour la visiter au préalable.
Ah bon. On ne peut pas faire les deux en même temps alors ?

Un peu ébranlé par votre mésaventure (vous êtes quelqu’un de timide, n’oublions pas que vous voulez être derrière la caméra), vous vous dirigez ensuite vers votre dernière épreuve : l’analyse filmique. Comme dans toutes les quêtes et autres aventures, cette épreuve clôturera la journée avec un affrontement contre Le Boss.
Le Boss en question, il y en a deux, en fait. Vous n’avez pas la plus petite idée de qui il peut bien s’agir. Mais une chose est sûre, ils sont terrifiants !
Bien entendu, vous vous êtes perdu, et arrivez dans la salle alors que la porte est déjà fermée. Ce qui vous vaut le deuxième sermon de la journée. Merde. Vos dernières traces de confiance en vous disparaissent, emportées par la fumée qui sort des oreilles de ces deux messieurs.
Vous courez vous asseoir à la dernière place disponible, au fond de la salle (alleluiah) !

La salle ne compte pas plus de vingt personnes, et vous avez en face de vous deux grands écrans de télévision. Plus de doutes possibles, vous allez devoir participer. Oralement.
Vous ne vous inquiétez pas plus que ça, parce que le cinéma, c’est toute votre vie, et que vous maîtrisez le sujet. Enfin, c’est ce que vous pensez. Parce que là, on vous balance un extrait de « A bout de souffle », de Godard.
Au secours, Saint Spielberg, vient m’aider !
Pourquoi un film datant d’avant votre naissance ? D’avant la couleur ? Qui plus est, un film français ! Ce qui est bien, c’est que la moitié de la salle a l’air aussi ravie que vous.
Cependant, tout le monde trouve quelque chose à dire, et vous vous rendez-compte, avec horreur, que vous allez être la seule à ne pas avoir ouvert la bouche. Vous, et la personne aux cheveux bleus fort sympathique assise à vos côtés. Dieu soit loué, l’union fait la force. Dans un regain de courage, vous trouvez quelque chose à dire – les deux « Boss de fin » vous écoutent attentivement, et ne semblent pas vous prendre pour une demeurée totale, c’est bon signe.

L’atmosphère se détend quand l’un des Boss décide de tester les connaissances de l’assemblée sur le sieur Godard. A la question « est-il vivant ? », nous répondons unanimement qu’il est mort. Perdu, il a même récemment présenté un film à Cannes ! Qu’est-ce que c’est bon de se dire que l’on est entouré d’êtres humains.
Ne crions pas victoire trop vite, car vous êtes sur le point de faire votre première expérience du lèche-bottes international. Quoique : peut-être est-ce simplement un passionné, comme vous, à la différence près qu’il a eu la chance d’avoir pu visionner des films de la Nouvelle Vague à la place des Walt Disney dans sa tendre enfance… Je vous laisse en juger.
Les deux professeurs (car c’en est, et pas des moindres, comme vous le découvrirez au cours de votre scolarité) décident de se la jouer vicelards, et, avec un sourire en coin, après un petit cours sur Godard (son prénom c’est Jean-Luc, alors?) demandent si quelqu’un connaît le nom du célèbre cadreur de ce dernier. Vous étouffez un rire : qui pourrait bien savoir ça ? Vous-même, vous ignorez le nom du chef’op de « Star Wars ».
Mais une main se lève au premier rang, et le a) lèche-bottes international ou b) cinéphile averti déclare fièrement : « Raoul Coutard ».

Comme dirait le Petit Nicolas : sale cafard !

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