samedi 12 mars 2011

Bouh, la loose!

Vous êtes lucide : vous savez que personne ne risque de vous appeler après avoir vu votre court-métrage en festival, vous proposant amour, gloire et beauté. Ou juste du travail. Toutefois, vous aimez l’idée que votre film soit vu par de parfaits inconnus. Et s’ils y prennent plaisir et même, récompense suprême, rient, vous aurez tout gagné.
Bien entendu, avant cela, il vous faut passer l’étape des sélections ; mais, motivée comme vous l’êtes, du moins pour l’instant, vous l’envoyez absolument partout. Partout incluant notamment le Japon et le Brésil. Votre producteur va être tellement heureux quand il apprendra que vous lui avez gardé les notes de la Poste – cette simple pensée suffit à votre bonheur.

Et puis ça y est : un beau jour, vous recevez un email. Email contenant les mots magiques : vous-êtes-sélectionnée. Votre film va être VU ! Plusieurs centaines de personnes vont rire, pleurer, sourire, puis se lever et applaudir de toutes leurs forces votre œuvre ! Les chaînes de télévision vont se le disputer, mais vous en céderez finalement les droits à une petite boîte de production qui s’appelle Amblin et qui appartient à Ste... Et voilà, ça y est, vous recommencez.

Le fait est que le festival en question se situe en France. A Paris – bon, c’est toujours plus glamour que Dégueulboule-les-Mourichon. Au revoir Steven – ce n’est que partie remise.

Vous êtes tout de même ivre de joie, et vous vous empressez de répandre la bonne nouvelle. Votre première sélection, merde ! Il semble même qu’il y a une interview à la clé – ça ne rigole plus. Cerise sur le gâteau, on peut acheter des places sur internet. OUI ! Des gens vont payer pour voir votre court-métrage. Vous passez vos journées sur Google, emplie du plaisir simple de voir des sites de billetterie s’afficher lorsque vous tapez votre nom.

Le jour J, le soir S, à l’heure H, vous rejoignez donc votre heureuse équipe devant le cinéma. Qui est en fait un bar.
Ce n’est pas grave. Votre première sélection, on a dit. Merde !

Vous êtes tout de même très émue, parce que le joyeux et fidèle soutien est venu en force ; vous êtes donc une dizaine, prêts à représenter le film fièrement. Quel beau navire, quel équipage, quel grand capitaine vous faites !

La première chose que vous remarquez en entrant dans le bar, c’est qu’un acteur célèbre y est attablé. Bon, peut-être pas célèbre, mais connu. Oui, disons connu. Assez connu. Voilà.
Et c’est reparti pour la machine à fantasmes : il va voir votre film, va rire, va venir vous parler après la projection et vous proposer de vous présenter à un producteur et STOP ! Vous essayez de vous maîtriser. Mais quand même : on ne sait jamais.

La projection se déroulant dans le caveau, votre belle équipe et vous décidez de descendre. Euh. C’est râpé pour la standing ovation par des centaines de personnes : à tout casser, il y a de la place pour cinquante. Et encore.
Nom de Zeus – selon de savants calculs, votre équipe représente pratiquement un cinquième du public...

Les gens descendent à leur tour et votre petit cœur se gonfle d’orgueil et de bonheur naïf : on frôle l’émeute ! La salle est plus que comble ; toutes les places sont prises, et bon nombre de cinéphiles sont debout, derrière les autres. Finalement, votre film va quand même bien être vu ! Vous souriez bêtement.
Huit court-métrages vont être diffusés ; vous êtes censée passer en septième. Le meilleur pour la fin ? Ha, ha, ha...

La projection commence. Ce qui est vraiment génial, c’est que vous ne voyez rien. Le premier film est très sombre, et il y a tant de têtes devant vous que vous décidez de vous contenter du son et d’un bout d’écran, en haut à droite. Vous espérez seulement que vous êtes la seule dans ce cas, et que toute la salle pourra jouir pleinement de votre court-métrage.
Fin du premier court, clap clap clap, interview de l’acteur principal – ce dernier étant un peu déçu car à l’en croire, le projecteur aurait énormément assombri le film.

Deuxième court-métrage – ah, tiens, c’est celui où joue l’acteur connu, qui n’est pas loin de vous. Rhoooo – c’est tout de même incroyable : ces gens n’ont-ils donc personne à la lumière ? Encore une fois, vous trouvez ce film extrêmement obscur, dans les deux sens du terme. Il faut bien l’avouer, l’image n’est vraiment pas belle (tant mieux pour vous, déclare malgré vous votre petit cerveau retors).
Le numéro deux se termine donc, applaudissements, interviews et... et la moitié de la salle se lève et s’en va. Pour ne pas dire les trois-quarts. Il se trouve que vous n’avez pas été la seule à rameuter du monde... sauf que cette équipe a fait bien plus fort que vous. Tiens, l’acteur connu s’en va, aussi.

Le truc, c’est que vous pensiez que l’intégralité des films intéressaient le public – ha, ha, ha ! Vous êtes toujours aussi naïve, c’est absolument désespérant. Toutefois, vous auriez pensé que les gens tenaient suffisamment à leur cinq euros pour les rentabiliser et rester plus d’une heure, à défaut de respecter le travail des autres...
Le pire, c’est que vous, vous étiez sincèrement intéressée par les autres films. Bon, d’accord, c’était surtout pour savoir à quel niveau se situait la concurrence. Mais quand même !

La projection reprend ; au moins, désormais, tout le monde a une place assise. Et vous voyez même l’écran. Allez, vous ne vous laissez pas abattre – les autres équipes sont probablement plus fair-play que les traîtres du court-métrage numéro deux, et votre film va être vu par une trentaine de personnes. Positive attitude ! Il s’agit quand même de votre première sélection, merde...

Les minutes s’écoulent, les films passent, et la salle... la salle se vide inexorablement. Ce n’est pas possible – vous avez probablement été très, très méchante dans une vie antérieure. Vous détestez l’humanité entière, là-tout-de-suite-maintenant.
Quelques réalisateurs ont tout de même la décence de rester (vous vous promettez de prier pour eux vers Saint Steven) ; quand votre film commence, donc, vous estimez la population locale à une vingtaine d’âmes, votre équipe comprise. Oui, oui : en gros, votre film va être découvert par à peine plus de dix inconnus.

Mais c’était votre première sélection, merde...


Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, vous réalisez avec horreur que les six équipes précédentes ne râlaient pas pour rien : le projecteur est effectivement lamentable. Vous ignoriez que vous aviez réalisé une sorte de film abstrait se passant dans l’obscurité. C’est... intéressant. Conceptuel. Et puis, à quoi bon faire de beaux décors quand on peut simplement entourer les personnages (que l’on voit plus ou moins, Dieu merci) d’une obscurité compacte ?
Etrangement, votre corps semble vouloir glisser vers le sol – vous voulez disparaître sous votre chaise. Au secours.

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INT/NUIT – CAVEAU DU BAR

La réalisatrice, à l’agonie, tombe à genoux et lève les poings vers le ciel.

REALISATRICE
(en un cri désespéré)
Pourquoi ? POURQUOI ??

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Lot de consolation : les gens rient. Vous entendez même quelqu’un dire quelque chose comme « Excellent ! » ... Bon. L’honneur est sauf. Vous êtes même... c’est étrange... vous êtes même un petit peu contente, oui. En fait.


Bilan de la soirée ? Vous avez gagné deux amis Facebook. L’espion infiltré que vous êtes trouve quand même votre film pas si mal. Et puis, tout de même : la bière était bonne, et elle n’était pas chère. CQFD.

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