vendredi 26 novembre 2010

Projection et stressomètre (1)

Lorsque vous êtes quelque peu déprimée, vous allez vous réfugier dans une salle obscure. Passées vos sombres réflexions sur le fait qu’aller au cinéma seule est, selon vous, l’apothéose de l’abandon et du désespoir (vous êtes quelqu’un de très sociable), vous vous laissez aller, oubliez tout et vivez deux heures de bonheur parfait durant lesquelles vous êtes AILLEURS.
Et dire qu’il y en a qui se demandent pourquoi les films d’auteurs chiantesques ne sont pas votre truc… Eh oui, cinéma français, parfois nous n’avons pas envie que nos problèmes nous soient renvoyés au visage, qui plus est d’une façon grise et moche.

Toujours est-il que, sachant que vous allez au cinéma aussi souvent que possible… à la base, on peut dire que vous passez actuellement beaucoup, beaucoup de temps chez vos amis à l’uniforme bleu.
(Eh bien oui, quoi. Vous ne pensiez quand même pas que ce métier aidait à avoir constamment le moral ?)

Pas plus tard qu’hier, le film que vous alliez voir a débuté sans les sous-titres, et surtout totalement anamorphosé ; un petit incident qui s’ajoute à votre liste d’anecdotes cinématographiques, ou plutôt de petites catastrophes de projection. Quand on passe sa vie au cinéma, on finit par avoir vécu plus ou moins tous les cas de figures. Plusieurs fois !
Pas de son. Lumières qui ne s’éteignent pas. Pellicule qui casse. Mauvais film. Bagarre – si, si. Les deux zouaves avaient roulé vers l’avant sur plusieurs rangées en s’envoyant des insultes qui dévoilaient de façon parfaite leur quotient intellectuel. En même temps, vous n’en aviez que faire – vous aviez déjà vu le film, et puis vous étiez trop concentrée sur votre Magnum, qui s’était fracassé dans son emballage et que vous deviez laper à l’aide du bâtonnet (ne jamais acheter de glace au cinéma).

Et puis, bien entendu, il y a le pire des cas de figures ; celui pour lequel vous ne souriez pas en vous disant que le projectionniste est un être humain, et que tout cela est plutôt mignon (oui, oui, mignon. J’ai dit).
Le pire des cas de figures, c’est celui qui, malheureusement, tend à croître d’une façon dramatiquement exponentielle dans nos chères petites salles obscures : le crétin qui répond au téléphone.
Variante : le crétin en bande, qui est entré dans la salle pour se réchauffer et qui, non content de mener à voix haute une conversation d’un formidable intérêt avec ses amis, ose déclamer (très fortement) : « C’est quoi le film ? »
Bon sang, vous pourriez tuer. Le cinéma, c’est sacré. Pour vous, acheter un seau de pop-corn est passible de la peine de mort. Et que dire des infectes imbéciles qui consultent leur téléphone pendant le film ? Votre fantasme absolu, c’est de vous lever, d’attraper le machiavélique appareil et de le jeter aussi loin que votre bras sportif (…) le permet. Calmement, impassiblement, comme un grand méchant de cinéma (Alan Rickman vous a toujours inspirée).
Alors les gens qui répondent au téléphone… ceux dont le téléphone sonne… Rien que d’y pensez, vous virez au rouge et de la fumée sort de vos oreilles.
Et ils sont TOUJOURS assis à côté de vous ! Loi de Murphy.
Pour l’anecdote, il faut tout de même préciser que, pour ce qui est de la sonnerie, l’ennemi public numéro un n’est pas un ado, une racaille ou une blonde écervelée. C’est un VIEUX. Un papy-mamie. Quelqu’un qui est bien gentil, mais qui ne comprend visiblement rien à la technologie de base, et dont le vieux Nokia va diffuser joyeusement une sonnerie archaïque pendant la scène la plus poignante du film – loi de Murphy, je vous dis.
Souvenez-vous donc de cette projection de « Des Hommes et des Dieux »… La salle était comble, et on pouvait y compter environ dix personnes de moins de soixante ans – jamais vous n’avez entendu autant de sonneries. Le plus drôle, c’est quand l’intéressé feint de ne rien remarquer. « C’est pas mon portable, la la la, je me concentre très fort sur l’écran ».
Un peu étrange, tout de même, ce choix musical du réalisateur à la fin du film, sur ce long plan enneigé… Ah, non, pardon, c’est le vieux devant moi.


Il faut bien avouer, toutefois, qu’aucune de ces projections n’égale, sur l’échelle de l’apocalypse cinématographique, les projections de vos films d’école.

Il y a le jury, certes. Les remarques cinglantes, les humiliations et les traumatismes qui vont avec (le jour où vous gagnerez votre Oscar, vous avez prévu de dire une phrase sur votre professeur d’Histoire de l’Art dans votre discours. Histoire de lui clouer le bec une bonne fois pour toutes, même si les Oscars ne l’intéressent probablement pas, et qu’il préfère sans doute réfléchir à sa triste condition de mortel devant un film expérimental insoutenable).

Mais il y a aussi la technique, qui ne suit pas. Pourquoi suivrait-elle ? Ce ne serait pas drôle…

De toute façon, s’il y a bien une chose dont vous êtes sûre, c’est que vous risquez de mourir d’une attaque foudroyante à quarante ans (si toutefois vous parvenez à vos fins, et finissez effectivement par devenir, officiellement, réalisatrice...). Trop de stress. La préparation, le tournage, la postproduction, les interminables disputes avec les producteurs, les caprices des uns et des autres (je dis bien des uns et des autres… pas des acteurs !), tout cela, c’est une chose. Mais lorsqu’enfin, après la bataille, épuisée par des semaines de montage, mixage et autres activités vous ayant réduite à l’état de goule, alors que vous n’aspirez qu’à un repos bien mérité, la projection s’annonce… le stressomètre fait un bond en avant. Il implose, même. Et vos films d’école ne vous ont guère aidée, à ce niveau là.

En premier lieu parce que vous n’êtes pas sans savoir que le projecteur de l’école raye les bobines… Si, si.
Mais pour cela, il faut d’abord arriver à la projection – mener le film à bien (faut-il préciser à nouveau que, en soi, c’est déjà toute une aventure ?), et ne pas malmener sa pellicule. Car, gag ! Vous montez « à l’ancienne », sur une belle pièce de musée où vous coupez et collez la pellicule en question. Et, cerise sur le gâteau, vous devez projeter la copie de travail. Voyez-vous, on a pensé, en haut lieu, que le fait de travailler directement sur la copie définitive du film vous inciterait à en prendre soin. Ce dont vous prenez surtout soin, finalement, c’est votre ulcère, là…


(Oui, je tiens à vous conter les mémorables projections en question. Toutefois, elles méritent un article à elles seules).

(Wow. Quel suspense. Je fais un petit cliffhanger, là, non ?)

(Non ? Vraiment ?)

(Bon. Tant pis. Je vous raconterai quand même).

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