samedi 1 mai 2010

Et ils vécurent heureux, et eurent beaucoup de DVD

Depuis que vous avez neuf ans, tout le monde sait que votre passion, c'est le cinéma, et que vous comptez bien en faire votre métier.

Attention, digression.

Dimanche après-midi. Vous avez neuf ans ; vous êtes attablée chez vos grands-parents, le bouton de votre jean gît sur le sol à trois mètres de là. La conversation se porte sur le cinéma, et la critique avertie que vous êtes déclare que vous avez très, très envie de voir le film avec des dinosaures qui vient de sortir - parce que, tout de même, le Journal de Mickey a fait tout un dossier dessus, et a dit que c'était super.
Les adultes sont intéressés aussi (le dernier Spielberg, ce n'est pas rien), et, ni une ni deux, votre grand-mère va chercher le journal pour jeter un œil aux horaires des séances. Le film est dans moins d'une heure, il va falloir se dépêcher, mais votre famille décide de tenter le coup.

Vous vous rappelez être assise au sous-sol, en train d'enfiler vos chaussures, surexcitée à l'idée d'y aller ; vous collectionnez les images Panini sur les dinosaures et vous voulez, alors, être paléontologue : ce film est fait pour vous. Ajoutons à cela que toute la cour de récré en parle (il y a des gens qui se font manger dedans!) et que vous allez échapper à la sacro-sainte promenade dominicale autour du lac : c'est décidément la fête.

Vous voilà partie, accompagnée de votre sœur, de votre mère et de votre grand-père; vous arrivez en retard au cinéma, bien entendu, et vous retrouvez donc placés tous les quatre au premier rang, dans la grande salle. Heureusement, le film n'a pas encore commencé.

« Qu’est-ce qu’il y a là-dedans, King-Kong ? »

Autant être franche : m'a mère m'a caché les yeux pendant les scènes trop sanglantes, et je les ai fermés toute seule, tant j'étais morte de peur, pendant la séquence de la cuisine. Mais cela n'a gâché en rien l'effet que le film a produit sur moi - c'était incroyable, c'était prodigieux, c'était fantastique, et oh mon Dieu, j'aimais le cinéma.
Je voulais faire du cinéma.
Je veux faire du cinéma.

Donc.


Tout le monde vous soutient dans cette démarche insensée... même après le collège. Vous êtes, dans l’esprit de vos proches, le cinéaste de la bande. Pour le meilleur, et pour le pire... Cela dépend de quel point de vue on se place !

Et, depuis le début, vous faites des promesses sincères à vos amis, à votre famille, au fils de la coiffeuse. Oui, ils participeront à vos films ; bien entendu, vous nommerez les filles directrices de casting, afin qu'elles puissent rencontrer leurs idoles. Vous foulerez les tapis rouges ensemble et révolutionnerez le cinéma avec les passionnés. Et vous offrirez une voiture incroyable à votre père (avec un gros nœud rouge dessus, cela va de soi).

Tous ces fantasmes sont relativement innocents ; la plupart de vos proches ne pensent probablement même pas que vous y arriverez, et aiment simplement rêver avec vous. Pour autant, vous êtes sincère quand vous évoquez tout cela, et vous vous feriez une joie de partager le bonheur d'un tournage avec ceux que vous appréciez, ou simplement de donner un coup de pouce à quelqu'un de méritant.

Mais... il y a un mais. Une autre promesse.

Vous avez toujours promis à vos amis, depuis le collège, que vous réaliseriez leur film de mariage. Et cela vous paraissait tellement, tellement loin. Le mariage. Ha, ha, ha!
Vous n'êtes pas très portée sur la chose, et, de nature plutôt immature, cela vous paraît toujours aussi improbable qu'à l'époque du collège.

Alors, quand certains de vos meilleurs amis vous annoncent qu'ils vont se marier, que vous avez l'insigne honneur d'être témoin, et, last but not least, que la réussite d'un film de mariage grandiose vous incombe, une petite lumière rouge s'allume dans un coin de votre cerveau.

BIP ! BIP ! BIP ! ALERTE ROUGE !



Tu parles. « Je suis extrêmement touchée, vraiment, je… je ne sais pas quoi dire… C’est un grand honneur… »


Ce n'est pas que vous doutiez de vos capacités, non ; vous êtes sincèrement flattée, en plus. Ce serait plutôt que, à l'époque où vous vous êtes engagée, il y a des années de cela, vous imaginiez que vous aviez largement le temps. D'ici à ce que vos amis se marient, vous seriez réalisatrice, vous auriez une équipe et surtout, surtout, du matériel. Du bon matériel.

Voici donc à quoi vous vous exposez, à clamer depuis toujours que vous êtes la reine de la caméra. C'est malin…

Toutefois, vous prenez cela comme un défi : vous aimez vos amis et vous voulez leur offrir ce cadeau! Hop, vous empruntez donc des caméras à droite à gauche (c'est à dire aux autres invités. Des caméras mini-DV. Vous n'empruntez pas de caméras professionnelles à des boîtes de production, voyons!), vous essayez de réfléchir à un angle d'attaque, vous pensez cadre, son, c'est bien simple, vous êtes au taquet.

Oh, bien entendu, tout ne se passe pas sans couacs : personne n'a l'idée de vous prévenir quand la pièce-montée géante va faire son entrée. La moitié des gens que vous comptiez interviewer pour les mariés parvient à vous esquiver et à se faire la malle avant d'avoir été immortalisée sur la bande. Bande de traîtres.

Le plus grand moment, c'est quand votre associé quitte la cérémonie en mairie un peu avant tout le monde, pour aller se préparer à la sortie des mariés (oui, rappelez-vous, vous êtes témoin, vous ne pouvez pas bouger, là). Le cadre est posé, ça va être le clou du film. Vous voyez de quoi je parle : radieux, les mariés sortent sous une pluie de riz, les parents pleurent, tout le monde est heureux et en plus, il fait beau. Pour un peu, on se croirait dans un film avec Jennifer Lopez.

Tout se passe comme prévu, et vous êtes déjà en train de chercher sur quelle musique vous allez monter cela. Votre partenaire filme, fait des cadrages de folie, n'hésite pas à s'agenouiller et à courir partout pour saisir toute l'émotion de l’instant. Un grand moment, quoi.
Dommage qu'il ait oublié d'enregistrer.

Quoiqu'il en soit, je vous conseille de vous charger du film de mariage. Votre position de cinéaste vous sauvera en effet la vie plus d'une fois - ça, je peux vous le garantir. Parce que, quand arrive le moment du "jeu où l'on doit enrouler sa moitié dans du papier toilette", vous êtes bien contente de décliner en disant que ah, non, merci, vous ne pouvez pas, vous filmez, là.
L'excuse (qui n'en est qu'à moitié une, finalement) peut également s'avérer remarquable au moment du bal. Vous ne serez pas obligée de danser avec des vieux oncles lubriques à moitié ivres, ou d'essayer de comprendre pour la vingt-cinquième fois les pas du Madison (brrr). Ou juste de danser tout court, en fait.

Ensuite, quand vous aurez survécu au marathon, il vous restera simplement à monter les dix cassettes. D’une heure chacune.
C’est là tout l’avantage d’être au chômage, mine de rien : vous avez l’occasion de passer des semaines sur votre canapé, penchée sur votre ordinateur - qui, étrangement, vous crache au visage avec un bel écran bleu neuf fois sur dix, quand vous lancez le logiciel de montage…

Vous aurez le dos en compote et les yeux semblables à ceux d’un lapin myxomatosé, c’est indéniable, mais vous serez tellement fiers.

En revanche, un dernier conseil pour la route : même si vous voulez faire au mieux, même si les raccords sont impossibles et que vous voulez camoufler vos boulettes… évitez d’y passer des mois. Parce que, venu le moment de la distribution des DVD, vos amis risquent d’annoncer un heureux évènement à venir et là, votre labeur acharné passera totalement inaperçu.

Comme si un bébé valait plus qu’un film – dans quel monde on vit, tout de même !

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