mercredi 15 septembre 2010

Casting.

Votre meilleure amie travaille sur un film avec Kristin Scott Thomas et Ethan Hawke. Votre petit-ami, quant à lui, œuvre sur un film de genre avec Jason Flemyng. Tout ceci a pour conséquence de déprimer profondément la vieille créature aigrie que vous êtes – la jalousie est un péché, certes, mais il ne faut pas pousser, tout de même.
Ajoutons à cela que le fait de vivre dans un monde où fleurissent les réseaux sociaux ne vous aide guère à contrôler vos pulsions néfastes… Un technicien, même très bon, va forcément crier sa joie et sa fierté sur sa page à un moment ou à un autre – pour ne pas dire qu’il va se la péter.
Bande de traîtres.

Bref, votre entourage allie bonheur, travail et argent, et vous croupissez dans votre salon, ne devant votre salut qu’à une série télévisée dont vous engloutissez assidûment tous les épisodes – jusqu’au message fatidique, bien entendu, décrétant que vous avez regardé soixante-douze minutes de vidéo et qu’il vous faut désormais payer (impensable !) ou attendre cinquante-quatre minutes. Les amateurs se reconnaîtront…

Entre deux épisodes, vous vous interrogez donc. Nom de Zeus, qu’ont-ils donc tous, à clamer ainsi leur éclatante réussite professionnelle à travers les noms de ceux avec qui ils travaillent ?
« - Salut, j’ai un Prix Nobel de physique quantique.
- Enchanté ! Je suis moi-même titulaire d’un doctorat en astrophysique.
- Ha, ha ! Moi, j’ai travaillé avec Kevin Kline, excusez du peu ! »

Pffff. Même pas des SUPERSTARS. Juste des stars. On est loin de Brad ou de Julia, pas de quoi frimer.
N’importe quoi. Vous détestez les acteurs, de toute façon. Parfaitement. Tous plus tordus les uns que les autres. Les acteurs…

Flashback.

- 10 000 AV JC. Encore jeune et insouciante, vous préparez votre court-métrage de fin d’études. Profil du rôle principal : jeune femme d’environ vingt-cinq ans. Inutile de dire que vous avez eu environ deux millions de candidates… et des poussières.
Vous avez donc organisé un beau casting et aïe, aïe, aïe, comme à chaque fois, c’est un festival. Fort heureusement, un an auparavant, vous avez eu à affronter le démon au lait de soja, et vous êtes ressortie de cette épreuve plus impitoyable que jamais. Allez-y, donc, faites entrer les demoiselles… Même pas peur.

Candidate numéro un…

Elle arrive sûre d’elle, et à peine entrée, se présente immédiatement. Vous ne la connaissez ni d’Eve ni d’Adam, son visage ne vous dit rien, son nom encore moins. Vous vous présentez donc en retour, sans le moindre haussement de sourcil. La routine, quoi – vous êtes là pour faire connaissance, après tout.
Sauf que la demoiselle attendait visiblement une toute autre réaction, et vous annonce donc fièrement qu’elle est la fille de… (grand nom du cinéma français).
Wow, super ! La classe ! Euh, c’est qui ?
Vous sentez bien que vous passez pour une inculte doublée d’une bouseuse, et si l’on en croit la tête de la fille en face de vous, vous ne méritez même pas qu’elle vous accorde cinq minutes de son temps ; à votre décharge, son père a beau être très connu et très doué, c’est un technicien, pas un acteur, et vous n’avez pas encore fini d’ingurgiter votre Larousse du cinéma. Non mais oh.
Ce petit moment de gêne passé, vous entamez donc la conversation. Il va sans dire que, à moins que son jeu exceptionnel ne vous arrache des larmes dans les minutes qui viennent, vous ne la prendrez pas. Etrangement, le feeling n’est pas passé…
La demoiselle vous raconte son parcours, et vous appréciez particulièrement le passage sur l’année sabbatique qu’elle vient de prendre. Oh, oui, certes, rien de tel qu’un tour du monde lorsque l’on se cherche, à vingt ans... Au revoir, à bientôt, promis, je vous rappelle.

Candidate numéro deux…

Un bronzage surnaturel, une petite robe turquoise, voici une jeune femme toute fraîche et euh, nous sommes fin octobre mais bon, peut-être que c’est juste vous qui êtes un peu frileuse, et… oh mon Dieu, mais est-ce qu’elle porte seulement un soutien-gorge ?
Pour rappel, vous êtes donc la réalisatrice. Seulement, ce n’est pas vers vous qu’elle se dirige prestement pour se présenter, mais vers votre assistant, bien entendu – un individu de sexe masculin. Suis-je bête.
Inutile d’essayer d’engager la conversation pour la mettre à l’aise ; comme vous l’avez compris, cette fille là a très, très confiance en elle. Elle vous demande si elle peut s’asseoir pour jouer la scène – ah, effectivement, c’est assez intéressant… En même temps, chacun possède sa propre conception du mot « asseoir », j’imagine. Et puis, passer un casting à genoux sur le tapis, les seins posés sur la table basse, négligemment cambrée, c’est plutôt novateur.
Ce qui est fascinant, c’est que même la créature femelle hétérosexuelle que vous êtes ne peut PAS regarder autre chose que son opulente poitrine. De toute façon, l’actrice ne risque pas de vous remarquer, bien trop occupée qu’elle est à lire votre texte délicat en faisant les yeux doux à votre assistant, serrant bien fort les bras contre son corps afin de faire ressortir au maximum ses deux assistants à elle.
Vous auriez peut-être du préciser que votre assistant-réalisateur est également votre petit-ami. Oh, à quoi bon : étrangement, le feeling ne passe pas non plus.
Promis, je vous appelle dans la semaine…

Candidate numéro trois…

La candidate numéro trois répond à environ deux cent annonces de casting chaque jour, si ce n’est plus. Elle tente TOUT. Quand on y réfléchit, c’est assez courageux. Elle n’a peur d’aucun rôle. C’est une bosseuse, une battante… ou une pauvre fille n’ayant pas travaillé depuis des mois et cherchant désespérément à obtenir ne serait-ce qu’une ligne de texte, ce qui est malheureusement plus probable.
Toujours est-il que mélanger les castings, ce n’est pas forcément un choix disons… judicieux. Pour quel rôle est-elle là ? Pas sûre. A-t-elle aimé le scénario ? Pas lu. Serait-elle là aux dates fixées pour le tournage ? Ah, non, en fait.
Merci, au revoir, désolée.

Fort heureusement, vous aurez la chance de rencontrer quelques personnes absolument adorables, humbles et douées au cours de cette journée, et votre film se fera sans problème, la performance et le naturel de votre héroïne impressionnant même le jury. Bon, le second rôle finira dans le lit du producteur, mais personne n’est parfait.
Vous aurez même réussi à éviter certains candidats types, à votre grand soulagement. Par exemple, la folle acharnée, à la limite du suicide – celle à qui il ne faut pas dire non. Harcèlement téléphonique, pleurs, colère, menaces, et comment avez-vous pu la rejeter sans même l’avoir vue jouer ? Mais euh Madame, vous fûtes très gentille, mais ne le prenez pas à cœur comme ça : c’était un rôle de figurante. Muet. Tout de même.

Oh, ne croyiez pas que toutes les filles sont folles, et que cette charmante qualité qu’est la névrose n’est réservée qu’aux membres du beau sexe ! Les acteurs bizarres, c’est comme les feuilles mortes. On les ramasse à la pelle.

Vous avez eu droit à un magnifique harcèlement téléphonique, pendant plusieurs semaines, de la part d’un individu mâle âgé d’une cinquantaine d’années. Et cela arrive plus souvent qu’on ne le croit – vous en arrivez ainsi à rentrer leurs numéros dans votre répertoire sous des noms délicieux, tels « ATTENTION ! », « NE PAS DÉCROCHER », voire « GROS ENFOIRÉ ». Miam.

On remarquera également le cas de ces personnes étranges qui, lorsqu’elles se présentent et parlent avec vous, sont tout à fait normales et posées. Naturelles. Mais, lorsqu’elles jouent... Elles jouent. Elles JOUENT, même. Vous vous rappelez, tiens, de ce monsieur fort sympathique, auditionnant pour un rôle – très sérieux – d’avocat. Pourquoi, à l’instant même où il se met à lire le texte, prend-il des intonations de clown, tout en levant les bras en l’air et en bourdonnant comme une abeille en rut ?
Certains olibrius se sentent obligés de jouer. Pas de surjouer, nuance – de montrer qu’ils jouent. C’est étrange, mais quand vous tombez sur des fictions françaises à la télévision, vous ne pouvez vous empêcher de penser que c’est comme la baguette de pain : c’est une spécialité locale. En moins bon...


Retour au présent. Votre téléphone sonne.

...

Et voilà. Il semblerait donc que Kristin Scott Thomas ait été très sympathique. Quant à Ethan Hawke, il serait absolument adorable, humble et discret au possible...

Pffff. Soyez tous maudits !

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