jeudi 17 juin 2010

La pasión.

Vendredi soir… vous êtes assise dans le TGV, en compagnie de votre mère. Enfin… « assise » est un bien grand mot. Disons que la SNCF, dans son immense mansuétude, vous a donné, pour le prix d’un billet en seconde classe, « période de pointe », une jolie « place assisse non garantie » ; vous avez toutefois pu vous emparer de deux strapontins dans le couloir… Miam.

Etre assis à plusieurs dans un espace confiné, pendant presque deux heures, sans climatisation et le cul en compote, mine de rien, ça créé des liens. Vous sympathisez donc avec la dame-en-face-de-vous.
Fatalement, vous en arrivez à parler de vos métiers respectifs. D’une petite moue timide, vous tentez donc l’habituelle blagounette sur le fait que vous faites du cinéma… ou que, du moins, vous essayez.

Et là… là, la dame-en-face-de-vous éclaire votre journée.

Impressionnée, elle vous fait part de son admiration, et vous demande d’où vous vient cette vocation. Serait-ce parce que vos parents sont dans le monde du spectacle ? Elle se tourne vers votre mère, hilare. Humm, non. Il se trouve que votre mère est informaticienne. Quant à votre père, il est expert-comptable…

Vous lui racontez donc la genèse de l’histoire, votre petite légende personnelle – elle trouve cela très beau d’aller au bout de ses rêves.

Bon. Pourquoi suis-je en train de raconter cela ?
Tout simplement parce que, même si la dame en question s’est peut-être dit que vous n’étiez qu’une douce rêveuse, même si elle a peut-être pensé que vous aviez fumé trop de moquette, elle a vous redonné espoir.

Car OUI ! Le cinéma fait encore rêver !

Croyez-moi, c’est un scoop.

Il fallait voir la petite étincelle dans ses yeux quand vous avez murmuré le mot « cinéma ». Voilà quelqu’un pour qui, Dieu merci, le fait de faire des films reste exceptionnel ! Elle n’était ni blasée, ni jalouse, ni dédaigneuse, non. Juste épatée, sincèrement épatée. Pour un peu, vous en auriez des papillons dans le ventre.

La veille encore, vous parliez de cela – la nonchalance, pour ne pas dire l’indifférence, des gens du métier. Il faut dire que votre entourage, de votre petit ami à vos amies les plus proches, a un pied dans le métier – un pied bien avancé. Inutile de préciser que des histoires de tournage, vous en avez à gogo, tous les soirs (et vous, pour le coup, vous êtes jalouse et aigrie !)

Et, comment le dire autrement ? Cela vous brise le cœur, tous ces techniciens qui ne sont là que pour faire leur boulot… point barre. Bien entendu, vous ne jugez que sur ce que l’on vous raconte, et sur les gens que vous connaissez – sans compter que, bien entendu, vous ne connaissez pas un dixième des intermittents de notre beau pays.
Mais tous ces électros, ces machinos, ces rippers, ces décorateurs et autres assistants semblent tellement insensibles… Où elle est, cette putain de passion ? Alors d’accord, on vous répond qu’ils ont fait tellement de tournages que bla, bla, bla. Mais merde ! Certains ne lisent même pas le scénario…

Et puis, vous êtes tombée de haut quand vous avez réalisé que les tournages étudiants, c’est terminé – mis à part le réalisateur, les chefs de poste et le producteur, tout le monde s’en fiche, du film. Au sens où vous pouvez faire de la merde, personne n’ira vous le dire. Personne ne s’implique. Chacun fait son boulot, et le fait bien, mais rien ne tient à cœur à qui que ce soit.
Oui, d’accord, c’est une grosse machine, un film, et tout le monde ne peut pas s’enthousiasmer comme un gosse. Mais quand vous êtes au chômage forcé et que vous tueriez pour pouvoir voir votre nom à un générique quelconque, et savoir que vous avez contribué, ne serait-ce qu’un peu, à une œuvre audiovisuelle, ou même à un navet intersidéral… vous ne pouvez vous empêcher de penser que rhaaa, ce n’est pas JUSTE !

Le plus triste, que dis-je, le pire, c’est que sur un tournage, les gens sont absolument interloqués de savoir que quelqu’un aie pu suivre des études d’audiovisuel, et avoir un diplôme – c’est bien connu, ça ne sert à rien ! Tout le monde est arrivé là par hasard… Inutile de dire que le feu du cinéma, censé brûler en ces gens, vous y croyez de moins en moins.

A la sortie d’une projection en avant-première, pour l’équipe d’un long-métrage…

Vous (naïvement)
Alors, comment était le film ?

Votre agent infiltré (en haussant les épaules)
Bof… En même temps, on savait en le tournant qu’il serait nul…

Vous (outrée)
Mais, c’est nul ! Vous savez que c’est mauvais et vous ne dites rien ?

Votre agent infiltré (qui vous aime, mais vous regarde comme la dernière des demeurées)
On est là pour faire notre travail, on ne cherche pas plus loin – ce n’est pas notre film !


Mais, mais… mais si ! C’est votre film, à vous aussi !
Non ? Vous voulez juste faire des heures ? Ok, tant pis…


Alors merci, madame du train. Parce que faire du cinéma, ce n’est pas juste faire un boulot sympa, avec un salaire astronomique et une table-régie (ne faites pas comme si vous y étiez insensible !)
C’est avant tout l’envie de raconter une histoire, et de faire rêver les autres.

Donc, pour vous, madame, je continuerai d’essayer, encore un peu…

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